En octobre 2019, la Fondation Scelles présentait les conclusions du Rapport d’évaluation locale de la mise en œuvre de la loi 2016-444, réalisé par les sociologues Jean-Philippe Guillemet et Hélène Pohu, avec le soutien de la Direction Générale de la Cohésion Sociale. Aujourd’hui, presque sept ans après l’adoption de la loi, l’équipe de 2019 se retrouve pour poursuivre ce travail sur de nouveaux territoires et de nouvelles thématiques.
Quatre territoires aux contextes différents
Selon le principe établi dans la première évaluation locale, l’étude porte sur quatre villes de densités démographiques différentes et aux situations prostitutionnelles diverses. Après Bordeaux, Narbonne, Paris et Strasbourg, il s’agit de Limoges, Marseille, Nantes et Toulouse. Aucun a priori sur le niveau de mise en œuvre de la loi sur ces territoires n’a motivé ces choix.
Des objectifs nouveaux
Le principal objectif de cette nouvelle évaluation est évidemment d’analyser les processus de mise en œuvre de la loi : quels sont les freins et les obstacles à l’application de la loi dans chaque ville ? quels sont aussi ses facteurs facilitateurs et les bonnes pratiques développées sur chaque territoire ? quel regard les acteurs et actrices en charge de la loi portent-ils sur leur mission ? Mais, près de sept ans après l’adoption de la loi, alors que les premiers parcours de sortie de la prostitution (PSP), institués par la loi, sont arrivés à leur terme, un nouvel objectif s’imposait : analyser et comprendre le vécu des personnes en parcours, s’interroger sur les sorties et les suites des parcours de sortie de la prostitution.
Pour répondre à ces questions, plus d’une cinquantaine d’entretiens ont été réalisés, pour la plupart entre décembre 2021 et avril 2022 : 2 Directrices régionales aux droits des femmes et à l’égalité, les Déléguées départementales aux droits des femmes et à l’égalité de chaque territoire, l’ensemble des 8 associations agréées mobilisées sur le volet social, les différentes institutions et structures impliquées sur les autres volets de la loi (la prévention en milieu scolaire, la pénalisation et les stages de lutte contre l’achat d’actes sexuels). Des personnes en PSP et sorties du PSP ont également été interrogées sur leur expérience du parcours et leur vision de la loi.
D’une évaluation à l’autre…
Deux constats principaux émergent de cette étude. D’abord, aujourd’hui comme en 2019, la loi est encore partiellement mise en œuvre. Il n’y a pas un seul territoire où tous les volets de la loi sont effectifs. En l’absence de portage national, la mise en œuvre de la loi continue de reposer entièrement sur les épaules des acteurs locaux, acteurs locaux qui ne sont pas toujours suffisamment informés et sensibilisés à la loi et à la vision qu’elle porte. C’est ce qui explique que certains axes de la loi sont peu ou difficilement appliqués. Pensons en particulier à la pénalisation de l’achat d’actes sexuels qui se heurte toujours à une forte résistance de la part des services de police.
Le volet social, par contre, domine et fédère les énergies. Il est ressenti sur le terrain comme l’axe prioritaire de la mise en œuvre de la loi et est véritablement porté par les Déléguées départementales aux droits des femmes et les acteurs·trices locaux·ales. Les commissions départementales, au cœur de ce volet, fonctionnent et construisent progressivement, parfois dans la difficulté, un regard différent sur les acteur·trice·s en place et, plus important, sur les victimes elles-mêmes : à la méfiance et à la suspicion ont souvent succédé le dialogue et la confiance réciproque.
Au moment de l’étude, les quatre territoires étudiés comptabilisaient au total 162 parcours de sortie dont 60 terminés. Pour ces personnes, la loi a été ¨une chance¨ : la possibilité d’avoir une nouvelle vie, avec un emploi, des papiers, un logement et une confiance reconstruite. Pour elles, comme pour les associations qui accompagnent le dispositif, le bilan est positif : ¨C’est une loi qui sauve des vies, au sens propre et au figuré¨.