Le Rapport Interministériel d’évaluation de la loi du 13 Avril 2016 était très attendu du milieu abolitionniste comme des opposants à la loi, qui fait encore aujourd’hui l’objet d’attaques régulières (la dernière en date étant le dépôt d’un recours devant la CEDH en Avril 2020).
Ce rapport est le résultat de neuf mois d’enquête ponctués de déplacements, de plus de 200 personnes rencontrées, et d’une série de questionnaires adressés aux parquets, préfets, et Agences Régionales de Santé, menés par trois Inspections : l’Inspection générale des Affaires Sociales, l’Inspection Générale de l’Administration et l’Inspection Générale de la Justice.
Il dresse un état des lieux précis de la mise en œuvre de la loi, une analyse des points de blocage et des facteurs favorisants, et propose 28 recommandations pour étendre et optimiser l’application de tous les volets du texte sur l’ensemble du territoire national.
Le Rapport souligne les progrès accomplis :
- +54% des procédures pénales pour proxénétisme et traite des êtres humains
- Multiplication par 7 des indemnisations des victimes de traite des êtres humains - 6 victimes de TEH indemnisées en 2015, 23 au 1er trimestre 2019 soit 4 fois plus (1)
- 395 parcours de sortie de la prostitution depuis 2016
- 90% des préfets interrogés jugent les commissions départementales de lutte contre la prostitution utiles (page 118)
- près de 5000 « clients » de la prostitution interpellés (799 en 2016, 2072 en 2017, 1939 en 2018)
Ces résultats montrent une nouvelle fois que, lorsque la loi est intégralement appliquée, elle fonctionne. Pour autant, sa mise en œuvre demeure inégale et hétérogène. Dès octobre 2019, les conclusions de l’étude d’évaluation locale de la mise en œuvre de la loi dans 4 villes et cofonancée par la Fondation Scelles et la DGCS, appelaient déjà à une application complète de la loi sur l’ensemble du territoire et soumettaient 9 recommandations que l’on retrouve peu ou prou dans les 28 émises dans ce rapport.
La Fondation Scelles, déjà engagée dans la mise en application de certaines recommandations, sera particulièrement attentive sur les sujets suivants :
Recommandation N°5 « Elaborer un tableau de bord et des indicateurs de suivi de la loi du 13 avril 2016 concernant tant les moyens mis en œuvre que les résultats obtenus ». |
L’expérience montre que sans une évaluation régulière de la mise en œuvre des recommandations et sans volonté des services publics de les appliquer la situation ne changera pas. L’adhésion de la société à cette loi ne se fera que si les résultats obtenus montrent l’efficacité du dispositif. |
Recommandation N°7 « Renforcer les moyens affectés aux services de police et de gendarmerie en matière de cyberproxénétisme et accroître le nombre des habilitations spéciales des officiers et agents de police judiciaire pour procéder à des enquêtes sous pseudonyme prévues par l’article 230-46 du code de procédure pénale ». |
L’ampleur prise par la prostitution sur internet dépasse aujourd’hui la capacité de réponse de l’Etat (Police et Justice). Pour autant, l’expérience nous montre que localement, comme dans le Val-d’Oise, lorsque les services d’enquêtes, le Parquet et les associations sont mobilisés, la mise en œuvre de la loi fonctionne : réseaux de proxénétisme oeuvrant sur internet démantelés, « clients » sollicitant des personnes en situation de prostitution via des sites internet interpellés… Il n’y aura pas de diminution de la prostitution sans une lutte contre la demande à la hauteur des défis posés par l’utilisation massive des nouvelles technologies de l’information et de la communication. |
Recommandation N°9 « Installer le groupe de travail interministériel, prévu par le 5ème plan de lutte contre toutes les violences faites aux femmes, chargé d’identifier les moyens et modalités d’actions de lutte contre le cyberproxénétisme». |
La loi doit permettre aujourd’hui d’engager des poursuites pour proxénétisme ou de faire fermer les sites favorisant la prostitution en ligne. La responsabilisation des acteurs du numérique quant à l’utilisation qui est faite de leurs plateformes doit permettre de lutter plus efficacement contre le cyberproxénétisme. |
Recommandation N°11 « Améliorer l’offre de stages de sensibilisation à la lutte contre l'achat d'actes sexuels sur l’ensemble du territoire et en assurer l’harmonisation par un pilotage par les chefs de cour d’appel ». |
Forte de son expérience dans la création du contenu et la co-animation des stages de sensibilisation à Paris et à Pontoise aux côtés de ses partenaires (APCARS et ARS95), la Fondation Scelles recommande la systématisation de l’implication des survivantes de la prostitution (vidéos et/ou en présentiel) et de la présence de la gendarmerie ou de la police dans cette journée de formation. Leur présence apparait déterminante dans la prise de conscience de la violence prostitutionnelle et la dissuasion de la récidive. |
Recommandation N°13 « Achever le déploiement du dispositif d’évaluation personnalisée des victimes prévu par l’article 10-5 du code de procédure pénale et recourir systématiquement à l’évaluation approfondie de la situation des victimes d’exploitation sexuelle ». |
C’est une étape indispensable pour que les victimes puissent être indemnisées lors des procès et les proxénètes condamnés en fonction de leurs actes. La Fondation Scelles se félicite de la tendance à l’augmentation des peines des auteurs (constatée depuis la mise en œuvre de la loi) et des progrès réalisés, mais encore insuffisants, en matière de saisie des avoirs criminels. |
Recommandation N°2 « Organiser des campagnes gouvernementales d’information sur le contenu de la loi et en assurer la diffusion sur les sites destinés au grand public, en portant une attention particulière aux mineurs et aux étudiants ». |
L’expérience des opérations de sensibilisation menées par la Fondation montre que cette mesure est primordiale pour la réalisation d’un vrai projet de société fondé sur l’égalité entre les femmes et les hommes. La prise de conscience dans l’opinion publique et chez les jeunes en particulier de la non marchandisation du corps et des conséquences de la prostitution est nécessaire à un changement durable et à une adhésion bien fondée à cette loi. |
>>> Le Communiqué de presse en version PDF
(1) " Evaluation de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées " - par Patricia WILLAERT (IGA) - Amélie PUCCINELLI (IGA) - Catherine GAY (IGJ) - Patrick STEINMETZ (IGJ) - Valérie GERVAIS (IGAS) - Pierre LOULERGUE (IGAS) (page 207)