Depuis le 24 février, la guerre ravage l’Ukraine. Des femmes s’engagent pour participer à la résistance de leur pays. D’autres partent pour assurer la protection de leur famille. D’autres encore endurent les bombardements russes dans la peur et l’angoisse, terrées dans des caves. Pour toutes, on le sait, la guerre sera aussi synonyme de violences et d’exploitation sexuelles, inhérentes à tous conflits militaires.
Cette guerre-là, les femmes ukrainiennes la connaissent déjà. Voilà huit ans que le conflit frappe les régions de l’Est du pays : près de 14 000 morts, presque un million de personnes déplacées, mais aussi des viols systématiques, des femmes contraintes à la prostitution pour survivre, un renforcement des violences domestiques et sexuelles et des risques aigus d’exploitation pour les femmes et les enfants… Des données à prendre en compte dans ce pays qui compterait plus de 80 000 personnes prostituées et alimente les réseaux d’exploitation sexuelle d’une partie du monde.
Des viols et des meurtres comme armes de guerre
Aujourd’hui la guerre touche tout le territoire avec une violence jamais atteinte : les bombes détruisent les villes, la vie s’arrête, l’économie s’effondre… Comment les familles survivent-elles ? Quelles violences doivent-elles endurer ?
A l’intérieur du pays, les premières informations concernant des cas de viols commis par des soldats russes arrivent. Dès le 4 mars, le ministre ukrainien des Affaires étrangères alertait à ce sujet. Et les témoignages s’accumulent : à Kherson, la première ville ukrainienne tombée entre les mains des Russes, « [les soldats russes] ont déjà commencé à violer nos femmes. (…) C’est arrivé à une jeune fille de 17 ans et ils l’ont tuée », raconte une habitante de Kherson à CNN. Dans les environs de Kyiv, « des femmes ont été violées avant d’être pendues », ont rapporté des députées ukrainiennes devant la Chambre des Communes britannique.
La menace des trafiquants et des proxénètes
Les trois millions de personnes qui cherchent refuge dans les pays limitrophes ne sont pas plus en sécurité. Ce sont en majorité des femmes et des enfants, qui, pour beaucoup d’entre elles, n’ont jamais quitté leur pays, ajoutant ainsi l’inquiétude d’un monde inconnu à la peur de la guerre et l’angoisse du dénuement….
Les ONG alertent sur risques aigus de traite des êtres humains pour ces femmes et ces enfants sur les zones frontières : «90% des hommes présents à la frontière étaient des personnes bien intentionnées offrant une aide sincère. (…) Nous ne pouvons pas exclure qu'une fraction des personnes présentes dans la foule étaient simplement des criminels, attendant de profiter de femmes vulnérables» témoigne Karolina Wiezbinska, de l’ONG Homo Faber. Aucunes données officielles à ce jour mais un faisceau d’informations : des cas de disparitions de femmes et d’enfants ont déjà été signalés sur la frontière polonaise, des femmes et des enfants voyageant seuls ont été abordés par des individus proposant argent et hébergement à la gare centrale de Berlin ; sur la frontière ukraino-polonaise, des hommes rodent proposant aide et hébergement aux femmes et aux enfants, un homme est suspecté du viol d’une jeune Ukrainienne de 16 ans…
Le fantasme de la femme ukrainienne
Il faut dire que la guerre a réveillé les fantasmes masculins et que la « demande » en jeunes femmes ukrainiennes est forte : quelques heures après l’entrée des troupes russes en Ukraine, les termes de recherche « Ukrainian girls » et « Ukrainian refugee » explosaient sur les sites de pornographie et les sites d’agences matrimoniales. Et, dans les pays d’accueil, des personnes qui se disent bien intentionnées, n’hésitent pas à tirer profit de la détresse de ces femmes et enfants réfugiés : comme ce propriétaire irlandais qui proposait de louer gratuitement à une femme ukrainienne (une femme « mince », précisait l’annonce… photo exigée !) contre des services sexuels…
Ne soyons pas complices !
« Nous ne devrions pas attendre d'avoir la preuve de nombreux cas de trafic, car il pourrait alors être trop tard", déclarait récemment la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson. De fait, l’Union européenne et les autorités nationales des pays frontaliers doivent organiser sans tarder la protection des femmes et des enfants réfugié-e-s contre la traite des êtres humains, actuellement laissée aux soins des bénévoles des ONG présentes sur le terrain.
Les pays doivent se mobiliser pour accueillir et informer. Il faut lancer une campagne de sensibilisation sur les dangers de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle au niveau européen (à destination, en particulier, des pays limitrophes et des pays réglementaristes propices au développement de toutes les formes d’exploitation sexuelle) et pour alerter les femmes et les enfants sur les risques encourus
A moyen terme, nous demandons que les faits de violences sexuelles à l’encontre des femmes et des enfants dans le contexte du conflit militaire soient dévoilés, enquêtés et sanctionnés. Aucun crime ne doit rester impuni.
Enfin, nous appelons une nouvelle fois l’Union européenne et ses pays membres à adopter le modèle néo-abolitionniste (ou modèle nordique) pour protéger non seulement les femmes ukrainiennes mais toutes les femmes européennes et pour criminaliser ceux qui les exploitent : les proxénètes, les trafiquants et les clients.
C.G.
Pour aller plus loin :
- Fondation Scelles/Observatoire international de l’exploitation sexuelle, Exploitation et violences sexuelles en temps de conflits armés, Coll. « Les Cahiers de la Fondation », janvier 2022.
- Chapitre « Ukraine » (extrait de : Fondation Scelles, Charpenel Y. (sous la direction), Système prostitutionnel : Nouveaux défis, nouvelles réponses (5ème rapport mondial), Paris, 2019).
- Chapitre « Ukraine » (p. 449 à 457) extrait de : Fondation Scelles, Charpenel Y. (sous la direction), Prostitutions : Prostitutions: Exploitations, Persécutions, Répressions, Ed. Economica, Paris, 2016).
Près de vingt ans après la mort de Sohane Benziane, victime de viols collectifs et brûlée vive à 17 ans dans une cité du Val-de-Marne, Shaïna Hansye était assassinée dans les mêmes circonstances à Creil en 2019. La journaliste Laure Daussy a enquêté.
Tout part de la tragique histoire de Shaïna : harcelée à 13 ans par un « petit copain » de sa cité, violée par le même « petit copain » et ses amis, tabassée en pleine rue par les mêmes parce qu’elle avait porté plainte, poignardée et brûlée vive à 15 ans par un autre garçon de la même cité qui l’avait mise enceinte et ne voulait pas « être le père d’un fils de pute ». Cela se passait à Creil en 2019. Shaïna est morte parce qu’étiquetée « fille facile ».
Creil, « ghetto sexiste »
Laure Daussy a voulu comprendre et est partie à la rencontre de la famille de Shaïna, de ses ami·e·s , de ses voisin·e·s, des habitant·e·s de Creil…. Des femmes, beaucoup de femmes, jeunes et moins jeunes, des filles et des mères qui toutes connaissent l’histoire de Shaïna (« Creil, c’est un village…. ») et ont souvent vécu elles-mêmes la menace, le harcèlement et la violence. Dissimulées sous des pseudonymes, toutes ont dit la prison dans laquelle elles sont enfermées : leurs vêtements, leurs attitudes, leurs sorties, leurs fréquentations, leur virginité, leurs désirs… tout est sous surveillance et sous contrôle. Un « faux pas » (réel ou fantasmé), une rumeur… et elles sont étiquetées « filles faciles » : « Il faut être vigilante sur tout… Il faut cacher ses formes, ses seins, sinon on va dire que tu l’as cherché » / « On est obligés de dire à nos filles de faire attention. On rentre dans cette logique. Au fond, je sais que j’emprisonne un peu ma fille »…
Laure Daussy a aussi rencontré des garçons. « Eux » parlent de respect, de protection : « La femme est un bijou, il ne faut pas la toucher, il faut la respecter »…/ « et s’il y a une rayure, on est déshonorés » ! / « Je préfère avoir un fils en prison qu’une fille qui soit une traînée »... Mais ce sont « eux » qui, au nom de la religion, fixent les règles, dominent l’espace public et font les « réputations ».
Une enquête sociale
Mais pour Laure Daussy, l’affaire Shaïna est un « fait de société». Et, procèdant par cercles concentriques, la journaliste s’est éloignée du fait divers pour interroger le tissu associatif local, des enseignant·e·s, des magistrat·e·s, des chercheur·euse·s, des représentant·e·s de l’Etat et des services publiques… et mieux comprendre sur quel terreau économique, social et culturel ce « ghetto sexiste » a pu se construire.
L’enquête est riche, passionnante et… glaçante ! Entre la mort de Sohane en 2002 et celle de Shaïna en 2019, qu’est ce qui n’a pas fonctionné ? Où est passé le mouvement #MeToo (dont les jeunes filles de Creil n’ont jamais entendu parler…) ? Et, aujourd’hui, comment briser cette logique infernale ?
« Le féminisme avance vite (…) Mais il ne faudrait pas laisser sur le bord de la route celles dont la situation relève de l’urgence », conclut Laure Daussy. Il y a d’autres Creil en France. Il faut agir…. Vite.
>>> Laure Daussy, La Réputation – Enquête sur la fabrique des « filles faciles », Les Echappés, 2023
La ministre déléguée à l'égalité entre les femmes et les hommes a reçu ce matin les associations de lutte contre le système prostitutionnel et la traite des êtres humains et a réaffirmé sa volonté de mettre en place une stratégie interministérielle de lutte contre le système prostitutionnel. Nous, associations agissant auprès des personnes en situation de prostitution, saluons les annonces faites par la ministre en ce sens.
La société civile avait été associée au début de l'été à l'élaboration de deux politiques publiques très attendues, le plan national de lutte contre la TEH et la stratégie interministérielle de lutte contre le système prostitutionnel.
Nous tirons la sonnette d'alarme depuis plusieurs années sur la nécessité de coordonner la mise en œuvre de la loi de 2016 renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, rejoignant l'évaluation qu'en avaient fait les inspections gouvernementales en 2020 : la loi fonctionne là où elle est bien appliquée mais sa mise en œuvre est insuffisante.
Nous saluons le discours de la ministre qui a clairement réaffirmé la position abolitionniste du gouvernement et a déclaré s'inscrire « dans la continuité des initiateurs de la loi de 2016 » et « Que ce combat doit se poursuivre car la loi est bonne et son application trop peu effective ».
Elle a indiqué que la stratégie interministérielle de lutte contre le système prostitutionnel, distincte mais articulée avec le plan de lutte contre la TEH, serait présentée avant la fin de l'année. Elle visera, d'après les déclarations de la ministre, à la mise en œuvre de la loi de 2016 dans tous ses aspects et notamment le renforcement des commissions départementales de lutte contre la prostitution, la pénalisation des « clients » et du nombre de parcours de sortie prostitution. Cette stratégie intégrera également les mesures concernant les mineur·es, ce qui est cohérent pour prendre en compte le continuum entre la prostitution des mineur·es et des majeur·es.
Nous rappelons l'urgence de la mise en œuvre d'une stratégie globale à un niveau interministériel avec un engagement réel de tou·tes les ministres concerné·es, et la nécessité de rassembler un comité de suivi de la loi régulièrement, au moins deux fois par an. Cette stratégie doit être articulée avec les dispositifs de lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Contacts presse :
• Frédéric Boisard, Fondation Scelles - 06 84 20 05 37
• Sandrine Goldschmidt, chargée de communication du Mouvement du Nid 06 62 53 63 51
• Delphine Jaraud, déléguée générale Amicale du Nid. Tel : 06 07 15 55 65
• Fédération nationale des CIDFF -
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Tel : 01 42 17 12 09
>>> Communiqué de Presse - PDF version
Quelque temps après la présentation publique des conclusions du rapport final de la seconde évaluation locale de la mise en œuvre de la loi, cofinancée par la DGCS et la Fondation Scelles, nous recevions de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) l'ensemble des données chiffrées de la police pour les quatre territoires Limoges, Marseille, Nantes et Toulouse. Des informations précieuses auxquels les sociologues n'avaient pu avoir accès pendant le temps de l'étude (malgré pourtant la lettre de mission de la DGCS et l'accord de principe du cabinet du ministre de l'Intérieur !).
L'évaluation ne pouvant être complète et aboutie sans ces éléments, nous avons décidé d'augmenter le rapport initial d'une postface, rédigée par Jean-Philippe Guillemet, intitulée : « Analyse sociologique des quatre terrains et analyse de la police : cohérence ou incohérence ? ».
>> Rendez-vous page 87 ! Bonne lecture !
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