Le 13 avril 2016, la loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées entrait en vigueur. Deux ans plus tard, l’heure est au bilan. 55 victimes en parcours de sortie, une trentaine de commissions actives, 2130 clients verbalisés (en avril 2018). Notre objectif, en ce jour anniversaire, n'est pas de commenter ces chiffres, mais plutôt d'analyser le travail de fond accompli par les acteurs des départements pour poser les jalons d'une mise en oeuvre efficace de la loi sur leur territoire.
L'application du volet social de la loi du 13 avril 2016 repose entièrement sur les départements. Les préfet-e-s sont responsables de la mise en place des commissions départementales chargées de coordonner les actions en faveur des victimes prises en charge dans les parcours de sortie de la prostitution. A ce jour, près de 70 départements ont constitué ou sont en train de constituer leur commission départementale de lutte contre la prostitution. Parfois le processus est lent : dans certains départements, les commissions sont officiellement constituées mais tardent à tenir leur première session et à valider les demandes de parcours de sortie. D'autres départements n'ont encore rien fait : où en est le processus en Saône-et-Loire, dans les Vosges, dans l’Aisne….?
Connaître la réalité du phénomène prostitutionnel
« A l’une des premières réunions, les forces de l’ordre et les politiques ont dit qu’il n’y avait pas de prostitution dans le département », constatait la directrice du SAFED (Service d'Accompagnement des Familles en Difficultés), association agréée en Dordogne lors du colloque « Prostitution et Parcours de sortie en Nouvelle-Aquitaine », (décembre 2017). De fait, la profonde méconnaissance du phénomène prostitutionnel au niveau local explique en grande partie la lenteur de mise en oeuvre de la loi. En Dordogne, on a l'idée que « la prostitution n’existe pas car il n’y a pas forcément de prostitution visible » ; dans d'autres départements, on se heurte à une ignorance totale : « Nous disposions de peu d'éléments sur la situation dans le département pour engager une démarche pertinente de lutte contre le système prostitutionnel », reconnaît le préfet de Haute-Marne.
L'application de la loi a ainsi été l’occasion de prendre la mesure du phénomène prostitutionnel. La commission étant chargée de la mise en œuvre des orientations stratégiques au niveau local en matière de prévention et de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite des êtres humains, plusieurs départements ont ressenti la nécessité de mener en amont des actions de diagnostics et d'état des lieux.
Le département de la Haute-Marne a ainsi mené « une enquête en ligne (pour) mieux appréhender ce sujet. Son objectif est d’appeler l’attention sur les différentes formes de prostitution (en tous cas de ne pas la restreindre à la prostitution de rue) et d’éveiller les consciences à l’ampleur du phénomène. (L'enquête) a permis de faire le point sur les interrogations des professionnel.le.s, leurs besoins en termes de sensibilisation, de formation, d’outils, etc... Elle a mis en exergue les difficultés rencontrées à savoir : une méconnaissance du sujet et une forte demande de sensibilisation ; le manque de supports de communication ; le manque d’outils en particulier de prévention. »
D'autres départements ont également mis en place des diagnostics plus ou moins fouillés : 6 mois d'étude dans le Tarn-et-Garonne, une consultation en ligne dans le département du Bas-Rhin, une enquête menée par le Mouvement du Nid en Indre-et-Loire.... Ces analyses ont permis de rassembler des données relativement précises :
Rassembler et former les acteurs impliqués
Sous l'autorité des préfet-e-s, les commissions départementales rassemblent des représentant-e-s de l'Etat et des collectivités territoriales, un ou une magistrat-e, des professionnel-le-s de la santé et de l'éducation, des représentant-e-s d'associations agréées. Il s'agit donc d'acteurs pluridisciplinaires, de cultures différentes, ayant une connaissance inégale de la problématique, y compris parmi les acteurs associatifs. En effet, le choix de l'association agréée a parfois posé problème dans certains départements..
32% des associations agréées sont spécialisées dans l'accompagnement des personnes en situation de prostitution. Parmi elles, les réseaux nationaux du Mouvement du Nid et de l'Amicale du Nid représentent, respectivement, 17% et 15% des associations agréées. D'autres associations dédiées, plus locales, ont également été choisies pour siéger dans ces commissions. Parmi elles, on peut noter la présence de quelques organisations de santé communautaire qui, quoique opposées à l'esprit de la loi du 13 avril, ont choisi d'adhérer au programme de parcours de sortie : parce que "sa mise en place répond à des besoins exprimés par les personnes que nous rencontrons", explique l'association Grisélidis, agréée en Haute-Garonne.
Lorsque les départements sont dépourvus d'associations dédiées, l'agrément a été confié à des organisations spécialisées sur des thématiques plus ou moins connexes : lutte contre les violences faites aux femmes (en particulier le réseau des Centres d'Information sur les Droits des Femmes et des Familles - CIDFF - 12% des associations agréées), droits des femmes, hébergement, réinsertion sociale, aide aux victimes, santé... Au total, 68% des associations agréées sont spécialisées sur d'autres thématiques.
Devant l'hétérogénéité des acteurs associatifs comme étatiques appelés à siéger dans la commission, certains départements, allant au-delà des prescriptions de la loi, ont jugé utile de mettre en place des actions spécifiques de sensibilisation afin « d’acquérir une culture commune sur le phénomène prostitutionnel ». La Lozère, l'Hérault, les Pyrénées-Orientales, les Hautes-Pyrénées, la Savoie, la Dordogne, entre autres, ont ainsi fait appel aux services d'une association spécialisée (très souvent le Mouvement du Nid ou l'Amicale du Nid) pour former tous les membres de leur commission à la fois aux thématiques prostitutionnelles, aux spécificités locales du phénomène voire même à l'esprit de la loi d'avril 2016. Ainsi, en Nouvelle-Aquitaine, par exemple, la Déléguée régionale aux Droits des Femmes et à l'Egalité a organisé des journées de sensibilisation dans tous les départements « pour informer sur la nouvelle loi et la réalité de la prostitution, favoriser la rencontre des acteurs et repérer des associations intéressées par l’agrément »
Changer le regard sur la prostitution
« La prostitution est une violence faite aux femmes, déclarait la Ministre des Droits des femmes devant l'Assemblée nationale en avril 2016 : les violences font partie intégrante de la vie des personnes prostituées (… et...) la prostitution est une violence en soi. ». Cette perspective a été reprise dans le 5e plan interministériel de mobilisation et de lutte contre TOUTES les violences faites aux femmes (2017-2019) (http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2016/11/5e-plan-de-lutte-contre-toutes-les-violences-faites-aux-femmes.pdf). Et aujourd’hui, le président Macron a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une grande cause nationale.
La dimension historique de la loi est marquée par le renversement de perspective : la prostitution est une violence, l'achat de sexe est interdit, les clients sont pénalisés et les victimes protégées. La mise en application de ce changement profond réclamera du temps. Mais le processus est bien amorcé. Plusieurs départements ont d'ores et déjà inscrit la constitution de la commission départementale dans un plan global de lutte contre les violences faites aux femmes. La Dordogne et la Haute-Marne, par exemple, ont fait de la lutte contre la prostitution un axe d’action contre les violences faites aux femmes (cf. Plan cadre départemental de mobilisation et de lutte contre TOUTES les violences faites aux femmes (décembre 2017- décembre 2020). Et d'autres départements ont inclus la commission de lutte contre la prostitution aux structures préexistantes de lutte contre les violences faites aux femmes. Ainsi, la prostitution devient officiellement une forme de violence faite aux femmes.
Objectifs 2019
Deux ans après son entrée en vigueur, et quelques mois seulement après la promulgation des derniers décrets d’application, la loi du 13 avril 2016 a commencé à imprimer un changement profond sur notre société :
La Fondation Scelles est actuellement chargée d’une évaluation locale de la loi pour le gouvernement et pourra bientôt enrichir ses recommandations. A ce stade, nous appelons d’ores et déjà à :