La formation des professionnels de la justice sur la lutte contre le proxénétisme s’est déroulée du 22 au 24 mai 2019 à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM) à Paris. Durant trois jours, magistrats et policiers ont été sensibilisés aux enjeux actuels du système prostitutionnel par 14 intervenants. Jean-Michel Cailliau, responsable du pôle juridique et judiciaire de la Fondation Scelles, a eu l’honneur de diriger ces échanges en sa qualité d’Avocat Général honoraire près la Cour de Cassation.
Jean-Michel Cailliau, directeur de session sur la lutte contre le proxénétisme à l’Ecole Nationale de la Magistrature, accompagné de Michèle Lauret, magistrate coordinatrice de formation.
« Connaître, comprendre, combattre l’exploitation sexuelle » : la devise de la Fondation Scelles résume l’esprit de ces 3 jours de formation à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM). La prostitution ne cesse de constituer le paroxysme des violences faites aux femmes. Aujourd’hui en France, 85% des personnes prostituées sont sous l’emprise d’un réseau criminel. La réponse judiciaire apparait alors primordiale pour répondre à ce phénomène. Une sensibilisation adéquate des professionnels de la justice s’inscrit donc dans une démarche globale que défende l’ensemble des acteurs abolitionnistes.
Pour une politique pénale volontariste
« Il n’y a pas de prostitution heureuse, il n’y a pas de prostitution anodine : nous sommes dans une démarche de combat », témoigne Catherine Champrenault, Procureure Générale de la Cour d’appel de Paris, sur l’importance de la réponse judiciaire pour prioriser ces questions et les combattre. La coordination de l’ensemble des acteurs apparaît comme un élément clé : policiers, éducation nationale, médecins, associations… L’ensemble des acteurs doivent être mobilisés. La justice a donc pour mission de les coordonner. Les juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) jouent un rôle important dans la poursuite de cet objectif comme le souligne Claire Thouault, magistrate au sein de la Direction générale des affaires criminelles et des grâces.
Selon Laure Beccuau, Procureure de la République à Créteil, le « néo-proxénétisme », aussi appelé proxénétisme des cités doit faire l’objet d’une attention particulière. Ce phénomène touche des mineures très jeunes, avec des affaires concernant des fillettes ayant parfois à peine onze ans. Le démantèlement d’un réseau à Nanterre le 29 mai dernier atteste d’un réel phénomène émergent.
Hélène Astolfi, Substitut du Procureure à Paris, souligne une collaboration efficace avec la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violence et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) en instaurant des protocoles qui facilitent la réponse judiciaire. Identifier ces phénomènes constitue donc la première étape nécessaire à la lutte contre le proxénétisme pour les professionnels judiciaires.
Qualification de traite des êtres humains
Le proxénétisme apparaît aujourd’hui étroitement lié avec la traite des êtres humains, phénomène proche de l’esclavage moderne qui ne se limite pas aux pays lointains. Le professeur en sciences criminelles Pascal Beauvais rappelle que la traite peut également être interne.
Jean-Marc Droguet, commissaire divisionnaire responsable de l’Office centrale de répression contre la traite des êtres humains (OCRTEH) souligne la nécessaire identification de ce phénomène pour approfondir également la coopération internationale quand les faits ont été commis dans plusieurs Etats. Pour des pays règlementaristes qui tolèrent la prostitution, comme l’Allemagne, la qualification de traite des êtres humains sera nécessaire pour poursuivre les mêmes faits et mener des équipes communes d’enquêtes.
La Brigade de répression du proxénétisme (BRP), dirigée par le commissaire divisionnaire Jean-Paul Mégret, se charge quant à elle de 45 à 60 dossiers d’exploitation sexuelle par an.
Ainsi, ces enquêteurs spécialisés connaissent les particularités de ces réseaux criminels. La formation des magistrats et policiers à ce phénomène esclavagiste revêt donc une importance majeure pour la répression, tant à l’échelon national qu’international.
Cyber-proxénétisme et nouvelles techniques d’enquêtes
Myriam Quemener, magistrate et experte de la cyber-criminalité, a constaté « un glissement très net » du proxénétisme vers internet. Le cyber-proxénétisme concernerait ainsi les 2/3 de l’activité prostitutionnelle aujourd’hui en France. Face à ces évolutions, la justice doit pouvoir s’adapter. La loi de programmation du 23 mars 2019 pour la réforme de la justice prévoit 530 millions d’euros pour la transformation numérique[1]. Les enquêteurs ont désormais accès à de nouveaux outils : enquête sous pseudonyme ou encore techniques spéciales d’enquête. La collaboration avec des acteurs privés peut s’avérer importante comme en témoigne la présence de Benjamin du Chaffaut, directeur juridique de Google France, lors de cette formation.
Ces mesures s’inscrivent dans le prolongement de la Convention de Budapest de 2000[2] comme le rappelle Anne Souvira, commissaire divisionnaire chargée des questions de cybercriminalité au Cabinet du Préfet de police de Paris. La France s’était déjà engagée à promouvoir des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » pour lutter notamment contre la pornographie infantile, souvent présente sur le dark net. Les professionnels de la justice doivent être attentifs à cette nouvelle forme de criminalité, en particulier dans le contexte des Jeux Olympiques de 2024. Le risque d’un cyber-proxénétisme apparaît d’autant plus important à l’occasion d’évènements internationaux, les réseaux les utilisant pour promouvoir leur business.
L’impératif de protection des victimes
« Il est important que les audiences ne soient pas désincarnées » déclare Maître Cédric Jacquelet, attestant de l’engagement du cabinet Proskauer dans la lutte contre l’exploitation sexuelle via son action pro bono. Le procès s’avère être un moment important pour la victime en vertu de sa fonction réparatrice. Toutefois, la plupart du temps, les victimes de prostitution ne se présentent pas à l’audience. Afin de faire entendre leur voix, il est donc important que des avocats représentent des associations qui se portent parties civiles, comme le fait régulièrement la Fondation Scelles.
Souvent trop honteuses pour pouvoir témoigner, ces victimes souffrent d’une forme particulière de vulnérabilité. 68% des femmes livrées à la prostitution ont des conséquences post traumatiques majeures. Grégoire Théry, Directeur exécutif de la Coalition pour l’Abolition de la Prostitution, souligne que leur taux de suicide est 12 fois supérieur à la moyenne nationale. Il rappelle l’importance d’une loi protectrice telle que la loi du 13 avril 2016, prenant en considération le besoin d’aide de ces personnes, par rapport aux systèmes règlementaristes. Ainsi, il apparaît clairement qu’elles doivent faire l’objet d’une attention toute particulière dans les procédures judiciaires.
Poursuivre l’esprit de la loi du 13 avril 2016
Les magistrats, policiers et avocats ont encore à se saisir des dispositions de la loi du 13 avril 2016. Hélène Astolfi, magistrate, atteste que les parcours de sortie sont de plus en plus demandés sur la région parisienne par les personnes prostituées elles-mêmes. Déjà plus d’une trentaine de femmes ont été admises par la commissions départementale de Paris et vont obtenir un soutien pour sortir de leur activité et se ré intégrer sur le marché du travail.
La pénalisation des ‘clients’ augmente également. Pour Jean-Michel Cailliau, l’absence d’affect caractérise ces acheteurs qui voient dans leur démarche un moyen d’obtenir une satisfaction sexuelle immédiate sans risque, dans une relation marchande. Néanmoins, la loi du 13 avril 2016 prend le parti pris de les sensibiliser aux réalités cruelles du système prostitutionnel via des stages, afin de réduire la demande.
Selon Sophie Gelly, psychologue pour l’association APCARS et Frédéric Boisard, chargé de communication pour la Fondation Scelles, les stages sont évalués positivement à 89%* quant à la prévention de la récidive[3]. Ils visent à diffuser une information claire sur la réalité de la prostitution et à réduire la demande. La prostitution est présentée comme une violence, une atteinte à l’égalité hommes-femmes et à la dignité humaine. Ainsi, l’autorité judiciaire a un rôle important à jouer dans la mise en œuvre de cette politique publique abolitionniste.
*données issues d’un questionnaire anonyme rempli par les stagaires à l’issue du stage