Le film de Rebecca Zlotowski mettant en scène Zahia Dehar n’est pas encore sorti qu’il se revendique déjà comme un nouveau mouvement de libération des femmes. Entre hypersexualisation et banalisation de la prostitution, Une fille facile n’a pourtant rien d’émancipateur. >>>
« La chose la plus importante à toute la vie est le choix d’un métier : le hasard en dispose » Si le film commence sur cette citation de Pascal, le spectateur comprend vite que c’est bien du « métier d’escort » ou plutôt de prostitution dont il s’agit même si le mot n’est jamais prononcé. On connaissait Zahia pour ses relations avec des stars du football quelques années plus tôt. Dans Une fille facile, elle est ramenée à son propre rôle comme si elle ne pouvait incarner autre chose aux yeux du public. Elle est désormais présentée comme une femme libre, indépendante qui assume marchander son corps pour s’émanciper de sa condition sociale. Zahia, nouvelle Brigitte Bardot ou « Arielle Dombasle des cités »[1]? Si l’on doit reconnaître que la jeune femme est indéniablement attachante de par sa légèreté dans le film, aucun mot pourtant sur les dangers d’une marchandisation du corps.
>>> Pour aller plus loin :
L'image de la prostitution à l'écran (PDF)
Comme si la seule « arme sociale » (cf Le Monde) que les femmes pouvaient revendiquer était non pas LEUR sexe mais LE sexe pour exister, la liberté des femmes renvoie indéniablement ici à leur plastique. Si la réalisatrice atteste de sa volonté de « filmer des corps », ce n’est pas au nom d’une morale conservatrice que le film dérange mais bien par ce qu’il sous-entend.
L’intérêt que les hommes portent aux femmes ? Au-delà d’une soi-disant approche féministe, le message est bien aussi dégradant pour les hommes. Dans le film, aucun ne s’intéresse aux femmes pour ce qu’elles sont, à part peut-être un Benoit Magimel qui incarnerait la figure de la morale, résistant farouchement aux charmes d’une adolescente de 16 ans. La seule figure désintéressée du film est celle de Dodo (faut-il y voir un lien avec Dodo la Saumure?), l’ami gay sur lequel la jeune Naïma pourra toujours compter. Les autres figures masculines hétéros sont renvoyées à leur cupidité ou leur impossibilité de considérer les femmes autrement que pour leur corps.
Le rêve du luxe pour des filles de cités ? Comme si elles n’avaient d’autres rêves que d’accéder au matériel, la présence du luxe est bien omniprésente dans le film. La bande annonce du film s’ouvre sur le cadeau de Zahia à sa jeune cousine : un sac de marque à 3 000 euros, symbole que sa cousine arrive à exister puisqu’elle possède.
La liberté par l’argent ? En définitive, le danger du film réside dans le message flou qu’il diffuse. La jeune Naïma finit par retourner à l’école. Son expérience du luxe avec sa cousine « escort » restera un souvenir de vacances à l’heure des premières expérimentations. Vendre son corps, ce n’est donc pas si grave puisqu’au final, elle comprend que ce n’est pas aussi facile.
Un métier comme un autre ? Aucun mot pourtant sur la réalité de « l’effet Zahia » qu’on constate aujourd’hui dans le milieu de la prostitution. Pas une mention sur le « proxénétisme de cités » qui démontre que des jeunes mineures, ayant parfois à peine 11 ans, sont recrutées par des loverboys qui leur font miroiter que, comme Zahia, elles peuvent accéder à une vie de luxe si elles acceptent quelques contreparties.
Aucun mot sur le fait que ces jeunes filles s’identifient à Zahia et que la violence de classe qu’elles subissent n’en est que plus exacerbée. Cette « arme sociale » ne les renvoie en aucun cas à ce qu’elles sont mais à ce qu’elles auraient à offrir dans cette société : un corps et non un cerveau. Leur intelligence ne consisterait qu’à l’accepter pour le détourner à leur avantage: à prendre ou à laisser.
Aucun mot sur cette réalité faisant que ces jeunes amants proxénètes les couvrent de cadeaux au début puis les isolent, les droguent ou même les tatouent comme en atteste un réseau démantelé au mois de mai 2019 à Nanterre, à l’opposé de la femme indépendante …
Aucun mot sur le fait que marchander un corps n’est pas un moyen d’émancipation, mais que personne n’en ressort vraiment intact, comme en atteste le taux de suicides des femmes prostituées, douze fois supérieur à la moyenne nationale.
En définitive, non, Une fille facile n’est pas le nouveau féminisme : il constitue le signe de la confusion entre corps des femmes, sexualité, émancipation et marchandisation sous couvert de bien-pensance. Non, une fille n’est pas facile parce qu’elle accepte une sexualité multiple et débridée. Mais une fille est victime de ceux qui en abusent, au seul motif qu’ils peuvent se l’acheter.
[1] « Festival de Cannes 2019 : « Une fille facile », le sexe, arme sociale sur la Croisette » Jacques Mandelbaum pour Le Monde, 21 mai 2019