Le groupe de travail interministériel et pluridisciplinaire, lancé en septembre 2020 par Adrien Taquet, secrétaire d’Etat en charge des familles et de l’enfance, vient de rendre son rapport sur la prostitution des mineur·e·s en France. Il en ressort un état des lieux alarmant et 95 préconisations.
Le phénomène est en croissance constante, même si aucune estimation officielle n’existe. Les associations parlent de 7 000 à 10 000 victimes, mais ces données pourraient être très en deçà de la réalité, insistent les auteurs du rapport.
Un état des lieux glaçant
« Ce sont très majoritairement des jeunes filles, de 15 à 17 ans en moyenne, vulnérables, provenant de tous les milieux sociaux ». Beaucoup sont en situation de rupture familiale : carences affectives et/ou éducatives, contextes familiaux dysfonctionnels, décrochage scolaire… Et près de 50% disent avoir subi « des violences pendant leur enfance, principalement intrafamiliales et/ou sexuelles avant d’entrer dans le système prostitutionnel ».
Face à ces jeunes filles, les professionnel·le·s impliqué·e·s rencontrent une difficulté majeure : « La jeune mineure prostituée ne s’identifie pas elle-même comme une victime de violences sexuelles ou une victime d’exploitation sexuelle ». Une réalité qui a des conséquences judiciaires, d’abord (les jeunes filles ne dénoncent pas leur proxénète elles, ne se constituent pas partie civile, ne participent pas à l’enquête), mais aussi sur leur prise en charge (refus du soutien des adultes, revendication d’une supposée liberté à disposer de leur corps…).
Si le rapport met l’accent sur le phénomène dit de « proxénétisme de cités », la prostitution des mineur·e·s étranger·ère·s et des mineur·e·s non accompagné·e·s n’est pas écartée et appelle des mesures spécifiques. Chez ces jeunes aussi, on observe des vulnérabilités très fortes, prédisposant à l’entrée dans la prostitution : des situations d’agression ou d’esclavage sexuel dans leur pays d’origine ou pendant leur trajet migratoire, aggravées par des situations de guerre ou de viols.
Une politique publique dédiée
Face à cette situation, plusieurs axes d’actions sont envisagés :
- L’organisation d’une gouvernance dédiée à la lutte contre la prostitution des mineur·e·s, avec un plan d’action national, une structure interministérielle en charge de la mise en œuvre de ce plan et des commissions départementales en charge de la coordination de l’action au niveau local
- La prévention auprès des enfants et des adolescents (éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle), comme auprès des parents (actions de soutien à la parentalité…)
- La formation au repérage des situations à risque pour les personnels de l’Education nationale, de la Santé, de la PJJ et ASE…
- Le renforcement du traitement judiciaire, avec en particulier l’augmentation des moyens et des effectifs d’investigation… ;
- Le développement de l’accompagnement de la victime : des hébergements, une meilleure prise en charge éducative, médicale, psychologique…
- Des formations pour construire une culture commune contre le système prostitutionnel pour tous les professionnel·le·s impliqué·e·s dans la lutte contre la prostitution des mineur·e·s.
- Enfin, la protection des mineur·e·s du risque prostitutionnel sur internet et les réseaux sociaux constitue un axe spécifique, avec des actions de prévention et d’information des jeunes, la mise en place d’outils de veille,…
Le client oublié…
La Fondation Scelles qui, dès son 5e rapport mondial en 2019, alertait sur le développement alarmant de la prostitution des mineur·e·s, salue la publication de ce rapport et se réjouit que les pouvoirs publics s’emparent de cette thématique. Une remarque pourtant.
Nous regrettons que le client, acteur majeur du système prostitutionnel, soit quasiment absent de ce rapport. Et s’il est évoqué, c’est pour souligner, d’un ton résigné et presque fataliste, la quasi-impossibilité de sanctionner l’achat d’acte sexuel auprès des personnes mineures : les clients, expliquent les auteurs du rapport, « minimisent leur comportement, soutiennent n'avoir eu recours à la prostitution qu'une seule fois et ne reconnaissent ni la souffrance des jeunes prostituées ni le fait qu'ils connaissaient sa minorité (…) ils disent avoir été trompés quant à l'âge de la victime et il est vrai qu'ils ont pu être induits en erreur par la victime, à son initiative ou à celle de ses proxénètes … ».
« N’oublions pas que la principale justification de la loi est de protéger les plus faibles. L’intérêt de la société est de protéger ses enfants », précise Catherine Champrenault, présidente du groupe de travail et procureure générale de la cour d’appel de Paris, dans la préface du rapport. L’intérêt de la société est aussi de s’attaquer au cœur du système prostitutionnel et de mettre fin à l’impunité de ceux qui sont à l’origine de la destruction des femmes et des filles : les clients des la prostitution des personnes mineures et majeures.
>>> Rapport du groupe de travail sur la prostitution des mineurs