À 15 ans, Noémie, une jeune fille vivant en foyer voit ses espoirs s’effondrer après que sa mère ait refusé de la reprendre chez elle. Dans une scène illustrant brillamment la violence de l’abandon et la colère ressentie, Noémie fugue de son foyer et va se retrouver livrée à elle-même dans les rues de Montréal. D’après une étude de 2019, réalisée par l’Observatoire des violences envers les femmes de la Seine-Saint-Denis sur les dossiers de l’ASE (aide sociale à l’enfance), 99% des mineures ont déjà subi des violences avant leur entrée dans la prostitution[1]. Ces violences peuvent être sexuelles, physiques ou morales. C’est évidemment le cas de notre jeune protagoniste qui a connu la violence du rejet de sa propre mère : cette dernière a laissé Noémie être placée car, selon ses dires, elle est devenue mère beaucoup trop tôt, et ne supportait plus les colères excessives de sa fille.
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La situation de prostitution de Noémie va débuter après une fugue du centre d’hébergement où elle était placée. Selon la même étude citée précédemment, toutes les filles placées dans des foyers et qui ont connu la prostitution, ont fugué avant leur entrée dans la prostitution. Au cours de sa fugue, Noémie retrouve Léa, ancienne jeune du foyer ayant elle-même fuit le centre et fait la connaissance du groupe de garçons chez qui elle vit. Ces jeunes, notoirement délinquants proxénètes, semblent à peine plus vieux que Noémie et Léa.
Dès la première soirée de Noémie avec le groupe, la réalisatrice montre une scène violente dans laquelle plusieurs de ces garçons miment un viol avec une arme à feu sur une poupée gonflable. Cette scène vient directement planter le décor et marquer l’opposition entre la pseudo-liberté nouvellement acquise par Noémie et le piège qui se referme en même temps sur elle. Une phrase choquante vient bousculer le spectateur : “Elle n’a pas le luxe de pas aimer quelque chose” (la poupée).
Parmi ces garçons, Noémie va rencontrer son futur « petit ami » Zach, qui finira par devenir son proxénète. Au début, Zach montre un visage différent des autres garçons de la bande et va commencer à se rapprocher de Noémie. En effet, 1 mineure sur 4, victime d’un réseau de proxénétisme, considérait son proxénète comme étant son petit-ami[2]. La manipulation du proxénète envers sa victime commence donc par des pseudos histoires d’amour, des compliments, des cadeaux ou encore des fausses promesses. Noémie apprend au même moment que son amie Léa se prostitue. Cette dernière et Zach vont à leur tour lui proposer de devenir escorte, décrivant cette activité comme étant “chill” et très lucrative.
Le lover boy, sur un ton naturel utilise des mots comme « escorte » afin de normaliser la situation. Les termes utilisés minimisent et “glamourisent” une réalité violente et ses conséquences qu’il faut cacher aux jeunes filles. Le chantage, la pression, l’illusion d’une vie meilleure voire la violence sont les modes opératoires courants des proxénètes. Les premiers viols des proxénètes sont souvent dissimulées par des demandes de « dépannage » envers leurs amis. Là encore, les mots servent à manipuler, à transformer une réalité en maquillant la contrainte : « ne t’inquiète pas, c’est comme ça dans le gang ».
On notera ici que l’âge de Noémie n’est jamais mentionné par aucun des protagonistes. Cette question va tourner dans la tête de Noémie, prise entre le fait de devoir combler le manque d’argent et la pression insidieuse exercée par Zach. Le premier viol de Noémie par l’ami de Zach va marquer le point de départ de l’engrenage dans lequel elle tombera. Vulnérable et sous emprise, elle va être forcée d’enchaîner les passes.
Même si Noémie ne veut pas « devenir escorte », elle n’a plus que son proxénète comme repère. Elle finit par accepter, malgré elle, d’être prostituées pendant les trois jours du grand prix de Formule 1 de Montréal. À partir de là, les soirées, les viols, les humiliations mais aussi la consommation d’alcool et de drogue s’enchaînent sans discontinuer. Là encore, Noémie pensait avoir le choix d’arrêter les passes au bout de ces trois jours, mais son proxénète lui demande de continuer. Elle voit alors passer toute sorte de « clients ». Ils ont un point commun, ce sont tous des hommes. Entre le jeune adolescent poussé par son père à aller voir une personne prostituée, le chef d’entreprise fortuné, des hommes mariés, tous les profils se succèdent.
La réalisatrice a fait le choix de montrer les « clients » prostitueurs, dont la responsabilité est trop souvent oubliée, lors des scènes de viols. Le film est volontairement violent et cru sans pour autant sexualiser le corps de la jeune fille. Il dévoile une réalité cachée, celle de l’exploitation sexuelle de jeunes filles mineures. Un jour, les « clients » arrivent à deux. Depuis la loi de 2016, en France, le fait d’être plusieurs prostitueurs est considéré comme une circonstance aggravante et passible d’une peine d’emprisonnement. Si Noémie refuse dans un premier temps, son proxénète la force à céder : “maintenant ils sont là t’as pas le choix”. L’horreur semble ne jamais s’arrêter, 37 passes en 2 jours, autant de viols commis sur une jeune fille mineure. Ce qui est inacceptable pour Noémie l’est bien entendu pour toutes les autres.
La conclusion du film montre bien que la prostitution ne peut être considérée comme un travail, une activité comme une autre, un choix. Noémie est laissée pour compte, seule et devra désormais vivre avec ces traumatismes toute sa vie. Le film montre parfaitement les mécanismes qui entrainent ces jeunes filles vers la prostitution en mettant en avant les vulnérabilités qui conditionnent souvent l’emprise et la manipulation à des fins d’exploitation sexuelle. Que peut-on espérer pour ces jeunes, victimes de telles atrocités ? Comment faire pour que cela cesse ? Des questions qui fâchent, qu’on préfère souvent ne pas poser, mais que Geneviève Albert vient ici remettre dans la tête du grand public, loin de l’illusion de l’“escorting”.
CG
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[1] La prostitution des mineures en Seine-Saint-Denis : étude des dossiers de l’aide sociale à l’enfance, Observatoire des violences envers les femmes de la Seine-Saint-Denis, 2021.
[2] Idem