« Je m’exprime en tant que survivante, en tant que membre d’un groupe international de survivantes qui travaille à mettre un terme à la prostitution et en tant que fondatrice et directrice d’un programme de sortie de la prostitution que nous avons conçu ici à Boston, Massachusetts, et que nous menons avec d’autres ex-prostituées au profit de femmes dans le besoin et de toute autre personne. »
« Mon « voyage en prostitution » a duré environ 20 ans. J’étais entrée en précarité économique. Je peux dire aujourd’hui que j’étais consentante mais la notion de consentement repose sur l’hypothèse que je disposais de diverses options viables. J’ai commencé dans ce qu’on appelle le fin du fin de la prostitution, call-girl, et j’ai fini impliquée dans le proxénétisme, héroïnomane, coincée entre l’escorting et la prostitution de rue avec des quotas imposés. Ces quotas nous permettaient de rentrer enfin chez nous.
Je peux dire que je mesure la difficulté à sortir de la prostitution. Il est plus facile d’y entrer que d’en sortir. J’ai du me cacher de mon proxénète pour partir. Dans la plupart des cas, quand on s’en va, c’est sans rien, plus pauvre encore qu’en arrivant, avec souvent un casier judiciaire et sans aucun antécédent de travail légal.
Le plus gros obstacle pour bon nombre d’entre nous, c’est de trouver un endroit sûr où se réfugier et se soigner, de trouver des portes de sortie durables et de recréer un réseau de soutien avec un emploi intéressant. Cela fait 10 ans que j’ai eu la possibilité de créer un parcours de sortie pour les femmes et aujourd’hui, à Boston, nous ouvrons un programme d’hébergement d’urgence.
Mais la création d’un parcours de sortie de la prostitution ne suffit pas, même s’il est nécessaire. Nous devons nous inscrire dans un mouvement plus large de disparition de la prostitution, sinon nous allons continuer à répondre aux besoins de personnes sous le choc dévastateur du système prostitutionnel, la violence et la pauvreté, alors que ce commerce du sexe, si dangereux, est autorisé. Nous ne pouvons pas mettre fin à la traite sexuelle sans mettre fin à la prostitution.
Comme survivante et directrice de programme, j’ai la chance de rencontrer et d’écouter des centaines de femmes qui viennent dans notre centre d’accueil.
J’ai été témoin des changements qui sont survenus au cours de ces décennies, les forces économiques et sociales qui ont transformé un problème local en une industrie rôdée, mondiale et extrêmement rentable. Je vois chaque jour combien les inégalités augmentent, s’accélèrent et incitent trop de femmes et de filles à se prostituer. Nous devons y mettre fin par une législation de type nordique qui cible la demande.
Nous qui avons été exploitées, nous dénonçons la prostitution. Nous avons été stigmatisées et nous avons enduré la violence tandis que les acheteurs ont gardé leur droit sur nos corps. En tant que survivantes, en tant que militantes, en tant que décideurs, nous nous organisons actuellement pour cibler ceux qui achètent les services sexuels et mettre fin à cette pratique.
Nos programmes offrent un soutien aux femmes non seulement pour sortir de la prostitution, mais aussi pour qu’elles se prennent en main. Aux Etats-Unis, nous avons un grand problème de traite interne. Il s’agit des femmes de nos propres communautés. Sans doute, il n’a jamais été aussi urgent et aussi difficile de lutter pour créer un mouvement viable et changer radicalement les choses. Nous ne pouvons pas mettre fin aux systèmes d'exploitation sexuelle en un éclair mais nous pouvons fissurer le système.
Je vais continuer à faire de petites fissures dans la société.
Je suis inspirée par les plus grands, comme ces personnes dans ce forum international et dans cette salle.
Comme nous bâtissons ce mouvement mondial, nous allons tout secouer et mettre fin à cette pratique dévastatrice ».
Cherie Jimenez
EVA Center, Boston MA USA
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