En avril 2015, Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles, intervenait lors de la 21e session de l'Académie Pontificale des Sciences Sociales pour présenter "une évaluation de la loi française sur le rapatriement des victimes de traite des êtres humains". Un an après, alors que les actes de la rencontre viennent d'être mis en ligne, où en est la situation en France ?
Un des objectifs de la loi contre le système prostitutionnel, adoptée par la France en avril 2016, est de renforcer les droits des victimes : création d’un parcours de sortie de la prostitution, mise en place d’une commission départementale dédiée, simplification de l’octroi de titre de séjour… Ces mesures visent avant tout à sécuriser la situation administrative des victimes d’exploitation sexuelle en France, à leur fournir des alternatives à la prostitution et, dans le cas des victimes de traite à des fins de prostitution, à favoriser un retour choisi dans le pays d’origine.
Pour ces dernières, la réintégration dans le pays d’origine constitue en effet le but ultime du parcours de réinsertion. Idéalement, ce retour au pays ne devrait pas se faire sans un parcours spécifique, prenant en compte les risques inhérents au rapatriement (représailles ou risque de retomber entre les mains de trafiquants). C’est ce qu’affirmait Yves Charpenel, en avril 2015, au cours de la 21e session de l’Académie Pontificale des Sciences Sociales (« Trafic d’êtres humains : questions au-delà de la criminalisation »). Le président de la Fondation Scelles était en effet intervenu pour présenter "une évaluation de la loi française sur le rapatriement des victimes de traite des êtres humains" et dégager les principaux enjeux liés au retour des victimes dans leur pays d’origine.
>>> Lire le discours d’Yves Charpenel (en anglais) : « An Evaluation of Repatriation in French Law »
>>>Voir la vidéo de l’intervention d’Yves Charpenel (en français)
Coordonner la lutte contre la traite des êtres humains et les lois sur l’immigration
La très grande majorité des victimes présentes sur le territoire français étant d’origine étrangère et, généralement, en situation irrégulière, toute politique de lutte contre la traite et d’assistance se heurte aux exigences de la politique de contrôle des flux migratoires. Comment coordonner la lutte contre la traite des êtres humains et les lois sur l'immigration ? Le problème est d'autant plus aigu que le suivi social et judiciaire d’une victime par le pays d’accueil représente un coût considérable et que le recours au rapatriement, voulu ou non, peut apparaître comme une « solution » rapide et économique.
Plusieurs dispositions ont été introduites dans le droit français pour donner aux victimes de traite une alternative au rapatriement forcé en cas de violation des lois sur l’immigration : en particulier autorisation de délivrance d’un permis de séjour pour raison humanitaire, ou sous condition d’un dépôt de plainte (articles 316-1 et 313-41 du Code de l’Entrée et du Séjour des Etrangers et du Droit d’Asile - CESEDA). Mais, du fait de la longueur des procédures et de l’état de grande vulnérabilité des victimes, la plupart de ces dispositions sont sans grande efficacité.
Coopérer pour mieux agir
Trois conditions sont nécessaires pour mener une politique efficace contre la traite, a rappelé Yves Charpenel : "l'affirmation d'une volonté politique", "l'établissement d'une stratégie globale conjuguant identification des victimes et renforcement de la lutte contre les réseaux criminels", "une coopération nationale et internationale effective et intense". Et Yves Charpenel illustrait son propos de plusieurs exemples de coopérations bilatérales avec la Roumanie, la Bulgarie, la Bosnie, qui ont permis à la fois d’instaurer une collaboration en matière d’investigations policières et d’organiser le rapatriement consenti de plusieurs dizaines de victimes.
>>> Pour en savoir plus : Fondation Scelles, « Rôle de la coopération bilatérale dans la lutte contre l’exploitation sexuelle », dans Prostitution – Exploitations, Persécutions, Répressions, 4e Rapport mondial, Paris, Economica, 2016.
En conclusion, Yves Charpenel mettait l’accent sur quelques points essentiels pour l’avancée de la lutte contre la traite : un meilleur respect des conventions internationales sur l'immigration sous l'angle de la dignité et des droits des personnes, l'application effective des mesures d'assistance aux victimes, la promotion de l'aide aux victimes qui ne peuvent ou ne veulent pas coopérer, une meilleure politique de formation des acteurs, une véritable sensibilisation de l'opinion publique comme des services d’enquête pour cesser de percevoir ces personnes comme des criminelles.
Aujourd’hui, la loi contre le système prostitutionnel d’avril 2016 répond en partie à ces exigences et constitue en ce sens une avancée positive dans la lutte contre la traite des êtres humains. Autre avancée encourageante : la création d’un comité de coordination contre la traite par la MIPROF (Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains) au moment où le 1er plan national de lutte contre la traite 2014-2016 s’achève. La volonté politique est manifeste. Il faut maintenant espérer que les moyens suivront et permettront une mise en œuvre concrète de ces mesures.
L’intégralité des actes de la 21e session est disponible en anglais :
http://www.pass.va/content/scienzesociali/en/publications/acta/humantrafficking.html