A la lecture des avis rendus par la commission spéciale sur les amendements, on est en droit de se demander quel est l’objectif visé par les membres du Sénat. Visiblement pas celui d’aider les personnes prostituées. Vouloir réintroduire le délit de racolage, c’est à nouveau souhaiter pénaliser les plus fragiles. Refuser la pénalisation des acheteurs de sexe, c’est maintenir l’impunité des auteurs de violences puisque les “clients” de la prostitution sont les auteurs à part entière de multiples faits de violence sur les personnes prostituées…
Suède, Norvège, Islande, Canada, et nous ?
Bref, on prend tout à l’envers. A moins que cela soit, une nouvelle fois, de la politique politicienne. Une position de principe de la part d’une opposition contre le projet d’un gouvernement en place. A l’inverse de toute logique. Nous nous moquons bien à la Fondation Scelles de savoir qui de la droite ou de la gauche ira dans le sens de l’histoire. La Suède, la Norvège et l’Islande ont déjà franchi ce pas avec une réussite indéniable, largement saluée au dernier Conseil du Statut de la Femme à l’ONU il y a deux semaines. Des membres de la délégation norvégienne ont été jusqu’à parler de “dead market” pour les trafiquants. Les programmes de sortie de la prostitution pour les personnes et la pénalisation des acheteurs ont découragé les réseaux de traite d’investir dans ces pays. Le Canada et sa loi C36 ont eux aussi franchi le pas après des discussions animées mais dans un esprit de protection des personnes exploitées et en choisissant de pénaliser les acheteurs.
L’impunité de sa “majesté le client” maintenue ?
Hélas, trois fois hélas, la France semble prendre le chemin de la facilité, comme d’habitude, à savoir réprimer les plus faibles. Sera-t-il vraiment plus utile de réintroduire le délit de racolage et de s’en prendre une nouvelle fois aux personnes prostituées ? L’amende prévue pour les acheteurs dans la proposition de loi était nettement plus commode car elle pouvait permettre la création d’un fond d’aide aux personnes prostituées. De l’argent pour abonder un programme de financement des parcours de sortie. Mais non. Pas touche à sa “majesté le client”. En quoi le Sénat pourrait-il se sentir offensé à l’idée de choisir de pénaliser les acheteurs ? On se le demande, très sincèrement.
Clandestinisation, de quoi parle-ton ?
Quand à l’argument de la clandestinisation accrue du fait de la pénalisation des acheteurs, il ne nous semble guère valable. Il y a toujours un moment où une personne prostituée et son “client” se retrouvent à l’abri des regards. Personne à ce moment là pour les protéger des violences, des coups tordus de ceux qui se croient tout permis parce qu’Ils ont payé… L’évolution technologique, les mobiles, les sites internet, les réseaux sociaux se moquent bien de savoir si un pays condamne ou non le racolage. Ils ont entraîné, de fait, une forme de clandestinisation qui n’est pas liée aux décisions législatives mais simplement à une évolution inéluctable de la société, hors du champ du regard, au moins en apparence.
Blocage de sites : barrer la route aux réseaux de traite
Une raison de nous réjouir toutefois, l’avis favorable donné par la commission à l’amendement déposée par Mme Jouanno sur le Blocage administratif des sites internet utilisés par les réseaux de traite et de proxénétisme. Loin de nous l’idée de vouloir censurer le net. Mais puisque les actes racistes, terroristes peuvent être sanctionnés, pourquoi celui de mettre à disposition d’autrui le sexe de quelqu’un ne le serait-il pas ? Kofi Anan ne rappelait-il pas en 2003 que l’échange d’argent sur le corps s’apparentait à un abus sexuel en tant que tel ? Evidemment, cet amendement va susciter de vives oppositions lors des débats. Ne nous faisons pas d’illusion. Pourtant, utilisé judicieusement, il pourrait permettre de porter un coup important aux réseaux organisateurs de traite à des fins d’exploitation sexuelle. N’est-ce-pas là pourtant le souhait des législateurs ?
Et maintenant ?
Après plus d’une année de discussion (loi votée en décembre 2013), après des commissions où la Fondation Scelles a expliqué chaque fois pourquoi les 4 piliers de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel étaient indissociables nous revoilà sans doute à la case départ si l’examen qui débute aujourd’hui suit les avis de la commission. Consciente et attentive, la Fondation Scelles le sera tout autant lorsque la proposition de loi reviendra à l’Assemblée Nationale où, de manière transpartisane, des parlementaires réintroduiront, n’en doutons pas, l’esprit de la proposition initiale : renforcer la lutte contre les trafiquants, protéger les victimes et favoriser les parcours de sortie, responsabiliser les acheteurs, mettre en place des actions de prévention de la prostitution.