Alors qu’en France, le site d’annonces gratuites en ligne VivaStreet fait l’objet d’une plainte pour proxénétisme sur mineure, une bataille juridique est également engagée aux Etats-Unis autour du géant Backpage, un des leaders des sites d’annonces en ligne. Ces sites sont-ils complices du système prostitutionnel ou de simples services en ligne ne pouvant être considérés comme responsables du contenu publié par leurs utilisateurs ? La lutte contre la cybercriminalité peut-elle être réellement efficace sans remettre en cause la philosophie d’internationalisation et de liberté dont jouit aujourd’hui une grande partie du business model de l’internet ?
Activités illégales sur les sites d’annonces en ligne : un secret de polichinelle
En France, dès 2011, dans le rapport d’information n°3334 de la commission des lois, le directeur de VivaStreet admettait que « la section ‘Erotica’ dédiée aux annonces à caractère sexuel » comportait des offres prostitutionnelles, malgré un règlement du site censé les interdire. Et, en effet, la plainte qui vient d’être déposée met à jour le cas d’une annonce de type « masseuse » d’une mineure de 14 ans dans la rubrique adulte et payante du site qui est en réalité une annonce de prostitution et qui, selon le père de la jeune fille, a probablement été déposée avec l’aide d’un tiers. Si, comme le clament les responsables de VivaStreet, les annonces sont examinées et modérées pour aboutir à une annonce légale, n’est-on pas face à des faits caractérisés de proxénétisme avec une annonce de prostitution déguisée et payante ? En France, VivaStreet avec plus de 8 000 annonces de « massage » n’est pas le seul site concerné. Près de 11 000 annonces du même type sont inscrites sur le site wannonce.com. Combien parmi elles sont des offres déguisées de prostitution ? Combien parmi elles sont déposées par des tiers ou des réseaux de traite organisés ?
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La fin de l’impunité ?
Outre-Atlantique, Kamala Harris, la Procureur Général de Californie, lançait, en octobre dernier, une procédure qui a conduit à l’arrestation du CEO de Backpage et de deux des plus gros actionnaires du site d’annonces en ligne, pour proxénétisme et trafic sexuel de mineurs. L’association National Center for Missing and Exploited Children parle d’une hausse de 850% des cas de suspicion de traite sexuelle concernant des mineurs à cause d’internet et pour lesquels, dans 7 cas sur 10, Backpage serait évoqué. En octobre, le CEO de Rentboy, site d’escorting masculin, était arrêté pour « promotion de la prostitution ». Toujours en octobre, alors que Facebook lançait sa plateforme mobile de vente entre particuliers, MarketPlace, le New York Times et la BBC signalaient la mise en ligne d’offres à caractère prostitutionnel dès l’ouverture.
Les expériences de fausses annonces publiées par des journalistes ou des équipes d’enquêtes menées en France comme aux Etats-Unis sur VivaStreet et Backpage montrent avec quelle rapidité et quelle ampleur les « clients potentiels» prennent contact dès la publication d’une nouvelle annonce mise en ligne dans les sections « adultes ». Comme un « morceau de viande fraîche » jeté dans un enclos de tigres affamés…
Un business model qui pose question
Les gains enregistrés ne sont pas négligeables. En France, Le rapport Ourgaud du Ministère de l’Intérieur en France indiquait qu’en 2014, la prostitution par internet aurait généré un chiffre d’affaires de 540 millions d’euros. Le chiffre d’affaires de Backpage s’élevait à 135 millions de dollars en 2014 dont 90% seraient issus de la rubrique « adultes ». Sur Vivastreet, les annonces publiées dans la section « Erotica » sont payantes à hauteur de 110 à 500 euros par mois selon leur position sur le site. On imagine aisément les gains générés à l’année pour cette plateforme pour 8424 annonces comptabilisées, à ce jour, dans cette section sur toute la France. S’il rapporte beaucoup d’argent à ses propriétaires, ce business model, en France comme aux Etats-Unis, induit un coût social élevé pour la société, puisqu’il entraîne avec lui trafics sexuels, prostitution et violences sexuelles.
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Une bataille juridique de longue haleine
Le parallèle ne s’arrête pas là : en France, comme aux Etats-Unis, la ligne de défense des propriétaires des sites mis en accusation s’articule principalement autour de leur absence de responsabilisaté quant au contenu publié par les utilisateurs. Aux Etats-Unis, la section 230 du CDA (Communications Decency Act) protégeait jusqu’à présent les plateformes d’annonces et les réseaux sociaux contre toute accusation pour des contenus à caractère illicite postés par un utilisateur. Michael Bowman, un Juge de la Cour Suprême de Sacramento a d’ailleurs déposé une motion pour mettre fin aux poursuites contre le dirigeant de Backpage. Selon lui, Backpage ne peut être mis en accusation même si ses promoteurs tirent profit de la publication de l’annonce ou de sa publicité.
Toutefois, le Congrès a récemment modifié la loi fédérale pour rendre illicite la publicité pour des offres sexuelles commerciales impliquant des mineurs lorsque le promoteur de la plateforme est au courant de ces procédés. Concernant Backpage, le jugement sur l’abandon ou non des poursuites a été mis en délibéré jusqu’au 9 décembre.
En France, la loi du 13 avril 2016 contre le système prostitutionnel oblige les fournisseurs d’accès internet et les hébergeurs de sites à participer à la lutte contre la diffusion de contenus proposant des offres de services sexuels tarifés à informer promptement les autorités compétentes de toute publication violant la loi sur le proxénétisme et à publier les moyens qu’ils ont mis en œuvre pour y parvenir. Par ailleurs, la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique souligne que des plateformes de contenu comme VivaStreet « ne peuvent voir leur responsabilité pénale engagée à raison des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicites ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l'accès impossible. »
Changement de paradigme ou ronds dans l’eau ?
Vivastreet, comme Backpage, clament leur bonne volonté et déclarent coopérer avec la police en signalant les cas suspects de traite et d’exploitation sexuelle. Mais dans quelle mesure ? Est-on prêts à remettre en cause un business model qui rapporte beaucoup d’argent quitte à flirter avec le proxénétisme sans égard pour les victimes ? Si aujourd’hui, les annonces postées par les utilisateurs sont modifiées par les personnels des sites pour apparaître légales sur la plateforme, cela signifie bien qu’il y a bien connaissance de l’intention de l’utilisateur. Dès lors, la responsabilité des dirigeants du site n’est-elle pleinement engagée ?
Si le monde du numérique est vent debout contre toute modification du paradigme actuel et affiche une volonté de défendre non pas des plateformes comme Backpage mais de défendre l’internet tel que nous le connaissons, il n’en va pas de même pour les associations luttant contre le système prostitutionnel et la traite à des fins d’exploitation sexuelle. Pour l’association Shared Hope International, rien n’empêche de modifier la législation sans perdre l’essence d’un texte comme celui du CDA : « ce ne peut être tout ou rien ». La Fondation Scelles rappelait également en 2014 lors de son colloque« Société numérique, du meilleur au pire : l’exploitation sexuelle via internet »qu’il s’agissait avant tout de trouver un équilibre entre protection des libertés et lutte effective contre les comportements illicites sur la toile, « un équilibre entre le bien commun et la richesse plurielle en réduisant au minimum les dérives engendrées par le cybercrime. »
Pour en savoir plus :
>>> Fondation Scelles, « Cybervulnérabilité des usagers des réseaux sociaux », dans Prostitution – Exploitations, Persécutions, Répressions, 4e Rapport mondial, Paris, Economica, 2016.
>>> « Prostitution : VivaStreet visé dans une plaine », l’enquête de Secrets d’info – France Inter
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Rapport Mondial N°4
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Rapport Mondial N°2