Quelque temps après la présentation publique des conclusions du rapport final de la seconde évaluation locale de la mise en œuvre de la loi, cofinancée par la DGCS et la Fondation Scelles, nous recevions de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) l'ensemble des données chiffrées de la police pour les quatre territoires Limoges, Marseille, Nantes et Toulouse. Des informations précieuses auxquels les sociologues n'avaient pu avoir accès pendant le temps de l'étude (malgré pourtant la lettre de mission de la DGCS et l'accord de principe du cabinet du ministre de l'Intérieur !).
L'évaluation ne pouvant être complète et aboutie sans ces éléments, nous avons décidé d'augmenter le rapport initial d'une postface, rédigée par Jean-Philippe Guillemet, intitulée : « Analyse sociologique des quatre terrains et analyse de la police : cohérence ou incohérence ? ».
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Les député.e.s du Parlement européen se sont prononcé.e.s en faveur du Rapport d'initiative sur « la prostitution, son impact transfrontalier et sur l'égalité des genres ». En l'état, il ouvre une voie claire à l'abolitionnisme et au modèle nordique en Europe. En faisant le choix d'une évidente réalité d'exploitation à combattre plutôt que celui de l'illusion d'un travail intrinsèquement violent, inencadrable et inopérant, le projet européen vient de rejustifier par cette décision un de ses objectifs premiers : lutter pour plus d'égalité entre les femmes et les hommes et pour plus de justice sociale en faisant passer l'humain avant l'argent. Le corps n'est pas une marchandise. La prostitution est une violence.
Les pays de l'UE, comme le font déjà la France, la Suède, l'Irlande sont appelés notamment à
- Favoriser la dépénalisation des personnes en situation de prostitution, et leur accès à des programmes de sortie de prostitution,
- Criminaliser l'achat d'actes sexuels et toutes les formes de proxénétisme.
Pour reprendre les propos de Maria Noichl, députée européenne allemande et porteuse du rapport d'initiative qui a conduit à la résolution : « La prostitution n'est pas un type de travail. Le travail sexuel. La prostitution est un type de violence à l'encontre des femmes. (...) Nous devons réduire la demande, ce qui signifie faire comprendre qu'il n'est pas permis d'acheter le corps d'une femme (...) Je pense que c'est clair : pour toutes les choses qui ne sont pas autorisées, la première fois il devrait y avoir des amendes, et la deuxième fois (devrait être) la prison ».
Ce grand pas en avant marque clairement le rejet du modèle réglementariste qui est un échec et qui favorise l'exploitation des vulnérabilités. Non la prostitution n'est pas un travail. Oui les acheteurs d'actes sexuels sont des agresseurs qu'il faut sanctionner. Alors évidemment ce combat ne se gagnera pas sans une lutte acharnée contre la précarité économique, contre les inégalités sous toutes leurs formes, contre les stéréotypes et toutes les formes de stigmatisation que subissent les personnes prostituées. Mais le sillon est tracé.
- CP du Parlement européen : Prostitution: réduire la demande et protéger les personnes prostituées
- Texte de la Résolution : Regulation of prostitution in the EU: its cross-border implications and impact on gender equality and women's rights
Les associations de terrain accompagnant les personnes en situation de prostitution prennent acte de l’arrêt de la CEDH jugeant recevable la requête contre l’interdiction d’achat d’actes sexuels et attendent une décision rejetant le bien-fondé de cette requête.
Le 6 décembre 2019, une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’Homme a été introduite, afin de dénoncer la pénalisation des acheteurs d’actes sexuels instaurée par la loi n°2016-444 du 13 avril 2016. Cette saisine de la CEDH s’inscrit dans une démarche militante d’opposition à la loi visant à lutter contre le système prostitutionnel, dans la continuité de la question prioritaire de constitutionnalité rejetée par le Conseil constitutionnel en 2019.
Ce jour, la CEDH a rendu un arrêt jugeant la requête recevable tout en précisant que cette décision ne préjuge pas du bien-fondé des requêtes sur lequel la Cour se prononcera dans un prochain arrêt.
« Il n'y a rien de nouveau sur le fond, seulement la confirmation que la CEDH se prononcera sur la requête après examen de possibles motifs d'irrecevabilité. Cette décision ne constitue absolument pas une remise en cause de la loi de 2016 et ne présume en rien de la future décision de la Cour sur le fond de la requête elle-même » explique Jonathan Machler, directeur de CAP International.
Nous sommes au contact direct de plusieurs milliers de personnes prostituées, qui nous font part de leurs difficultés, de leurs besoins. Leur expérience constitue la base de notre action associative et militante. Nos associations ont choisi d’être parties intervenantes dans ce dossier et espèrent que la Cour sera attentive à nos observations. Pour s'inscrire dans une démarche réellement protectrice des victimes de violences sexistes et sexuelles, elle ne peut répondre favorablement à cette requête.
« Il est évident que le modèle abolitionniste est le plus protecteur pour les personnes victimes du système prostitueur. En tant qu’actrices de terrain, nous constatons au quotidien que la prostitution touche majoritairement les plus vulnérables, les plus précaires, les personnes ayant déjà subi des violences sexistes et sexuelles. Les traumatismes générés par la prostitution sont profonds, durables. Être en situation de prostitution ne relève ni d’un choix individuel, ni d’une sexualité, ni d’une « expérience », mais s’insère dans un système intrinsèquement violent » explique Danielle Bousquet, présidente de la FNCIDFF.
« La protection des droits fondamentaux des personnes prostituées ne passera jamais par l’organisation de l’impunité des agresseurs que sont les “clients” de la prostitution et par la reconnaissance de leur droit à imposer un acte sexuel contre de l'argent. Comme l’affirmait Françoise Héritier dire que les femmes ont le droit de se vendre, c’est masquer que les hommes ont le droit de les acheter » rappelle Claire Quidet, présidente du Mouvement du Nid.
Françoise Ritter, présidente de l’Amicale du Nid complète : « L'approche sexwork rend invisible la violence propre à la prostitution. Elle réduit au silence les victimes, dans la grande tradition du patriarcat vis-à-vis des violences sexistes et sexuelles. L’inversion de la charge pénale permise par la loi du 13 avril 2016 permet de reconnaître les personnes prostituées non pas comme des délinquantes, mais comme les victimes d’un système de violences sexistes et sexuelles. »
Yves Scelles, président de la Fondation Scelles ajoute : « Ce n’est pas la loi française qui insécurise ou tue les personnes prostituées : c’est la prostitution. Dans les pays européens ayant dépénalisé le proxénétisme et réglementé la prostitution, des voix s’élèvent contre “l’esclavage des temps modernes” que représente l’exploitation des femmes dans les bordels allemands ou suisses. Le magazine allemand Der Spiegel, titrait en juin dernier : “Un jour nous aurons honte”.”
Considérer la prostitution comme un “travail du sexe” ne réduit les risques que pour les prostitueurs (les proxénètes et les « clients »).
Après sept ans de mise en œuvre, la loi du 13 avril 2016 fonctionne là où elle est appliquée. Elle pose les bases d’une politique publique humaniste, féministe, résolument engagée pour que les victimes d’exploitation sexuelle sortent de l’isolement, de l’emprise, et de la violence. Le dispositif des Parcours de sortie de la prostitution est un outil formidable dont les victimes peuvent se saisir pour être soutenues dans leur démarche par des associations et protégées par l’Etat, et pour leur permettre de s’insérer en fonction des projets qui sont les leurs.
Cette politique publique est cohérente et doit être renforcée et appliquée sur tout le territoire français. Elle implique un portage politique fort. Cela passe notamment par une politique pénale volontariste en matière de responsabilisation des acheteurs d’actes sexuels. Face à ce constat, nous saluons la mise en place d’une concertation pour l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre la prostitution mise en place par le gouvernement, en juin dernier. Nous appelons à la poursuite des discussions engagées, pour que la protection des personnes prostituées soit effective, pour construire ensemble une société libérée de l’exploitation sexuelle.
Le 26 mai dernier, le Conseil Constitutionnel a été saisi par la chambre criminelle de la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Cette QPC n°2023-1058, introduite par deux avocats, Maitre Louis Heloun et Maitre Antoine Ory, estimait en partie que l’article 222-23-1 et l’article 222-23-3 du Code pénal, issus de la loi du 21 avril 2021 visant à protéger les mineur•e•s des crimes et délits sexuels et de l’inceste, étaient contraires au principe de la présomption d’innocence, et donc non conformes à la Constitution. Le Conseil Constitutionnel a confirmé les dispositions du code pénal : explications.
Que prévoit la loi du 21 avril 2021 ? :
Pour rappel, l’article 222-23-1 du Code pénal prévoit que « hors le cas prévu à l’article 222-23, constitue également un viol tout acte de pénétration sexuel, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d’un mineur de quinze ans ou commis sur l’auteur par le mineur, lorsque la différence d’âge entre le majeur et le mineur est d’au moins cinq ans. »
L’article 222-23-3 du Code pénal dispose que « les viols définis aux articles 22-23-1 et 222-23-2 sont punis de vingt ans de réclusion criminelle ».
Il est important de rappeler que la loi de 2021, défendue à l’époque par le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, a été adoptée dans le cadre de la lutte contre les violences sexuelles sur les mineur•e•s et a pour objectif qu’aucun•e majeur•e ne puisse se prévaloir du consentement sexuel d’une personne mineure qui n’a pas encore 15 ans.
Grâce à ces deux articles, si un•e majeur•e a un rapport sexuel avec un•e mineur•e de 15 ans ou moins, et que la différence d’âge entre les deux est d’au moins 5 ans, alors le/la majeur•e est présumé•e coupable d’un viol. Cette présomption étant irréfragable, elle ne peut être renversée.
La protection des mineur•e•s de 15 est alors au cœur de ces articles car avant la loi de 2021, le viol n’était caractérisé que si le/la mineur•e démontrait la violence, la contrainte, la menace ou la surprise de l’acte. Dans de nombreux cas, à cause de la difficulté à prouver l’une de ces modalités, les cas de viols sur mineur•e•s étaient requalifiés en atteinte sexuelle, c’est-à-dire un délit et non plus un crime, ce qui change le quantum de la peine.
La saisine du Conseil constitutionnel :
C’est alors en ayant pleine conscience de cette protection accordée par le Législateur envers les mineur•e•s de 15 ans ou moins, que Maitre Heloun et Maitre Ory ont présenté leurs arguments à l’encontre des articles 222-23-1 et 222-23-3 du Code pénal, les estimant contraires à la Constitution.
Leur argumentaire portait principalement sur un constat : Ces articles ne prévoyaient plus l’obligation pour la victime mineure d’un viol de démontrer que l’acte sexuel avait été réalisé par la violence, la contrainte, la menace ou la surprise. Cela instaurait donc une présomption irréfragable de culpabilité qui serait contraire au principe de la présomption d’innocence et aux droits de la défense.
Le 21 juillet 2023, les Sages du Conseil constitutionnel ont rendu leur décision n°2023-1058 QPC : https://vu.fr/vcAE. Le Conseil Constitutionnel a décidé que les dispositions du Code pénal n’ont pas pour but d’instaurer une présomption de culpabilité sur les auteur•e•s majeur•e•s. En rappelant l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable », le Conseil constitutionnel considère que le Législateur ne peut pas instituer une présomption de culpabilité en matière répressive. Le Conseil décide donc que ces articles ne contreviennent pas au principe de présomption et ne méconnaissent pas les droits de la défense.
En bref, le Conseil constitutionnel estime que les articles 222-23-1 et 222-23-3 du Code pénal sont conformes à la Constitution. Ainsi, des mineur•e•s de moins de 15 ans ne sont pas en mesure de donner leur consentement en ce qui concerne une relation sexuelle avec un•e majeur•e ayant au minimum 5 ans de plus qu’eux. Par cette décision, le Conseil Constitutionnel appuie l’avancée faite en termes de protection des mineur•e•s et la lutte contre les violences faites aux enfants.
La Fondation Scelles se félicite de cette prise de position du Conseil constitutionnel et met en garde sur les éventuelles tentatives d’échec de la loi du 21 avril 2021 de personnes malintentionnées qui ne verraient aucun problème à admettre qu’un•e mineur•e puisse accepter de lui-même d’avoir une relation sexuelle avec un adulte. Surtout que cette problématique existe malheureusement concernant l’achat d’actes sexuels d’une personne majeure envers un•e mineur•e de moins de 15 ans. Nous nous devons de rester vigilants afin de conserver les outils législatifs ou autres mis à disposition, afin de protéger les mineur•e•s.
Le 11 juillet 2023, le Maine est devenu le premier État américain à promulguer le modèle abolitionniste par l'adoption de deux lois essentielles, l’une visant à réduire l’exploitation sexuelle à des fins commerciales et l’autre visant à offrir des recours aux survivantes. Pour rappel, une majorité de territoires américains adoptent à ce jour des politiques prohibitionnistes qui punissent l’ensemble des acteurs de ce système, dont les personnes en situation de prostitution. Ces deux lois marquent une avancée majeure en dépénalisant les personnes prostituées, abolissant ainsi le crime de la prostitution. Parallèlement, les “clients” d’actes sexuels et autres exploiteurs restent soumis à des sanctions rigoureuses pour les violences qu'ils causent.
Ces mesures vont bien au-delà de la simple dépénalisation de la prostitution, elles fournissent également des services de soutien essentiels aux survivantes du système prostitutionnel, permettant ainsi leur reconstruction sans craindre la discrimination en matière de logement, d'emploi et d'autres droits fondamentaux.
Cette avancée législative s’appuie sur le modèle d'égalité, pionnier en Suède depuis 1999, qui a ciblé avec succès les “clients” d’actes sexuels, en majorité des hommes, qui sont le principal moteur du commerce mondial du sexe tarifé. Elle est également le fruit de nombreuses années de dévouement de la part de survivantes soutenues par des organisations telles que Just Love Worldwide. Le travail de la députée Lois Galgay Reckitt et de partenaires tels que la Coalition contre la traite des femmes (CATW), Rights4Girls, World Without Exploitation et le National Center on Sexual Exploitation a aussi été déterminant pour parvenir à ces lois.
Par l’adoption de ces lois, le Maine s'inscrit dans une démarche conforme aux principes universels des droits humains, en adhérant au droit international et à la politique fédérale américaine qui prônent l'abolition totale de l'achat et de la vente d'êtres humains, y compris à des fins d'actes sexuels. Cette victoire est une avancée significative vers l'égalité des femmes et des filles et place le Maine aux côtés de pays engagés comme la Suède, l'Islande, la Norvège, le Canada, l'Irlande du Nord, la France, la République d'Irlande et Israël, qui ciblent la demande pour prévenir l’exploitation sexuelle et mettre fin au système prostitutionnel.
Cette loi audacieuse marque une étape décisive vers une société plus égalitaire et vient consolider les droits et la dignité des personnes prostituées tout en responsabilisant ceux qui perpétuent cette exploitation criminelle. La Fondation Scelles se félicite de cette avancée majeure et appelle à une poursuite de l'effort mondial visant à abolir la prostitution et à promouvoir le Nordic Model pour aboutir à une émancipation collective.