Culture

La prostitution n'est pas un choix de vie : Òlòtūré interpelle sur le trafic sexuel au Nigeria.

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Le film Òlòtūré, sorti en 2019, nous plonge dans la réalité brutale de la prostitution et du trafic sexuel au Nigeria. Le récit de son personnage éponyme est inspiré d’une histoire vraie, celle de Tobore Ovuorie, une journaliste nigériane ayant infiltré pendant 7 mois un réseau de prostitution afin de dénoncer la traite d’une de ses amies. Ce long-métrage permet de porter la voix de ces survivantes de la prostitution auprès du grand public et de rendre justice à toutes celles qui n’ont pas eu cette chance.

 

Rideau levé sur la réalité de la prostitution au Nigeria

Réalisé par Kenneth Gyang, Òlòtūré est un long-métrage nigérian qui met en lumière le drame de la prostitution et son lot de violences pour les femmes des rues de Lagos. Le film raconte l’histoire d’Òlòtūré (interprétée par Sharon Ooja), une jeune femme journaliste qui enquête sur le monde de la prostitution. Très vite, elle tombe sur un réseau de traite et se retrouve elle-même victime de ce milieu qu’elle a cherché à infiltrer.

 

L’histoire d’Òlòtūré débute dans les rues et bars de l’ancienne capitale nigériane. On découvre rapidement que derrière la prostitution locale se cache un important réseau organisé de traite d'êtres humains à des fins de prostitution à destination de l’Europe. La prostitution leur est d’abord présentée comme une occasion de fuir le Nigeria pour prétendre à de meilleures conditions de vie et subvenir aux besoins de leurs familles. Ces femmes vont alors tomber dans un terrible piège caractérisé par la brutalité et l’emprise des trafiquants.

 

La cérémonie du “juju” : lorsque les croyances deviennent une arme d’emprise

Le·la spectateur·rice découvre les moyens par lesquels les proxénètes parviennent à enrôler et tromper des femmes comme Òlòtūré. Une scène marquante montre comment ces femmes sont emmenées nues en pleine forêt et forcées de participer à la cérémonie du “juju” avant leur départ. Ce rituel repose sur des croyances traditionnelles encore très ancrées au Nigeria et vise, pour les réseaux, à s’assurer de l’obéissance de ces femmes. Lors de cette cérémonie, elles vont jurer fidélité à la personne qui les emmènera en Europe : la mama, généralement une ancienne femme en situation de prostitution devenue proxénète. Au terme de ce rituel, le “sorcier” leur confie alors un objet dit “magique” pour leur rappeler que si elles ne respectent pas leurs engagements, la malédiction s’abattra sur elles et leurs familles.

 

Mettre fin à l’illusion d’une prostitution choisie et glamour

Le film aborde un sujet complexe trop souvent passé sous silence. Il est indispensable aujourd'hui d’aborder ces questions et de montrer au grand public cette réalité de l’exploitation sexuelle des femmes d’Afrique subsaharienne. Une réalité que nos sociétés occidentales ont souvent tendance à banaliser en la décrivant notamment comme un choix de vie, comme en témoigne l’utilisation de l’expression “travail du sexe” largement répandue dans les médias.

 

Òlòtūré vient rappeler la réalité quotidienne d’une majorité de personnes en situation de prostitution. La prostitution n’est ni un travail, ni du sexe, mais bien l’expression même des dominations sexiste, raciste et de classe qui touchent les communautés les plus marginalisées. À l’image d’Òlòtūré et des femmes qui l’accompagnent, les personnes en situation de prostitution sont victimes d’extrêmes violences, de coercition et d'abus sexuels avant même leur entrée dans le système de la prostitution.

 

Òlòtūré dépeint avec réalisme la violence prostitutionnelle au Nigeria. Les scènes de viol sont particulièrement difficiles à regarder et peuvent choquer certain·e·s spectateur·rice·s, mais font voir l’horreur de cette réalité. Les femmes en situation de prostitution sont ici, comme dans toute société, considérées comme des parias, de véritables marchandises pour les hommes et sont frappées, violées voire tuées. Plus généralement, le film vient rappeler à quel point il est nécessaire de se battre à tous les niveaux pour faire cesser ces violences envers les femmes. Òlòtūré est une représentation crue et réaliste de la prostitution et du trafic sexuel au Nigeria. Le film démontre la nécessité impérieuse de mettre fin à l’ensemble des dominations qui alimentent la prostitution dans nos sociétés. Il est aujourd’hui temps que nous écoutions les voix de ces survivantes, trop souvent ignorées.

C.G

 

>> Pour en savoir plus

- fiche film 'Oloture' sur imdb
- fiche Nigéria du Rapport Mondial FondationScelles, CharpenelY.(sous la direction de), Système prostitutionnel : Nouveaux défis, nouvelles réponses (5èmerapport mondial), 2019
- " Prostitution: Coalition seeks law against sex 'buying' in Nigeria "

 

Livre - Ksenia Potrapeliouk : "Pourquoi je ne dis plus « travailleuses du sexe » en parlant des prostituées."

lien vers le livre un métier comme un autre Un matin d’hiver à Montréal, une femme commence sa journée de travail. Elle prépare un café, bavarde avec son assistante, vérifie les rendez-vous d’une journée très remplie… Florence tient un « salon » de « massages thérapeutiques » : ouvert de 9h à 18h, des « clients » en nombre, des « serviettes bien pliées », des « effluves de parfum » et une hygiène impeccable…. « Un métier comme un autre»

Sous l’apparence de la fiction, ce livre joue sur les paradoxes. Le titre semble annoncer une apologie du « travail du sexe ». Mais au fil des pages, Ksenia Potrapeliouk déconstruit les éléments de langage bien peaufinés de son personnage. La réalité se dévoile : quel que soit le nom qu’on lui donne, « travail du sexe », escorting ou autres, la prostitution est un immense mensonge où tout le monde travestit la réalité pour donner l’illusion qu’elle est acceptable, voire émancipatrice...

Florence, la première. Elle se ment à elle-même d’abord, pour supporter : « Je ne suis pas dans la rue », « tous les métiers ont leurs inconvénients, il faut bien que quelqu’un fasse le sale boulot… », « c’est juste en attendant… », « pour 100 dollars, elle pouvait bien faire avec un homme relativement propre ce qu’elle avait déjà fait gratuitement avec des mecs douteux et pas toujours clean… ». Florence ment aussi à ses « clients ». Face à eux, elle devient Béatrice et chaque fois qu’elle les rejoint, elle se dissocie de son corps : « Alors n’importe qui pouvait bien en profiter, vu qu’elle n’était pas dedans…».

Les « clients » aussi ont deux visages : « Elle en avait vu, des mecs « fidèles » et progressistes (et féministes) qui passaient leur temps à essayer toutes les masseuses de la ville ». Ils s’inventent des histoires : « Elles aiment ça… », « elles ont trouvé une bonne combine…», « elles joignent l’utile à l’agréable…», « j’améliore leur situation économique, je n’ai jamais forcé personne… ». Ils se persuadent qu’ils achètent un « service » alors qu’ils exploitent la vulnérabilité d’une femme juste pour se donner « le sentiment d’être un mâle dominant »

Qu’y a-t-il derrière ces mensonges ? L’argent comme une drogue, « une société de consommation (qui) envahit tous les recoins de la vie ; lubrique, obscène, omnipotente », « une machine qui broye les êtres humains entre ses rouages impitoyables…. ». Et une seule vérité : « Jamais, à personne, la prostitution n’a offert une vie digne ».

Tout pourrait continuer ainsi dans la vie bien réglée de Florence/Béatrice. Mais la mécanique s’enraye. Le grain de sable en l’occurrence est le compagnon de Florence qui surgit dans le salon de Béatrice, bouleversant les faux-semblants… Tout bascule alors. Et Florence n’a pas d’autre issue que de détruire Béatrice… pour renaître à une autre vie.

>> Ksenia Potrapeliouk, Un métier comme un autre, BoD, 2021, 5,99€

 

« Papa, viens me chercher ! » : face à face d’un père et sa fille mineure, victime de prostitution

Papa, viens me chercher !LIVRE - Dans un livre-témoignage rare, Thierry Delcroix et sa fille Nina racontent à la fois l'enfer qui a conduit l'adolescente à la prostitution et le combat mené par ses parents pour la sauver...

 

Tout au long de cet ouvrage, Nina retrace l'engrenage qui l'a conduite à se prostituer et son embrigadement par les proxénètes. Au départ, un sentiment de liberté. La mineure raconte ses difficiles années de collège. Cette bonne élève, qui faisait l'objet de railleries, explique avoir voulu rompre avec l'image de petite fille sage qui lui collait à la peau et que ses harceleurs ne manquaient pas de lui rappeler. Nina voyait dans la prostitution un moyen d'attirer leur attention, de se démarquer et de s'émanciper de son environnement familial, pourtant sécurisant. Rapidement, elle dit avoir été attirée par l'argent, qu'elle voyait comme une arme de séduction susceptible de lui procurer la notoriété qu'elle recherchait. LIRE>>>