« Même une fois sortie de la prostitution, on continue à payer. La société a honte de la prostitution : certains la méprisent, d’autres mettent une jolie couche de vernis en disant que c’est super. Tout le monde se voile la face (…). Je suis encore étonnée quand j’entend des femmes dire qu’elles sont bien (…). Mais elles ne disent pas ce qu’elles vivent, qu’elles ne choisissent pas les hommes avec qui elles couchent, donc qu’elles le subissent. Des mecs qui peuvent sentir mauvais des aisselles ou du sexe ou de la bouche, qui sont violents, des gros, des visqueux qui demandent des trucs horribles. C’est ça qu’il faut dire : la réalité ! »
Laurence Noëlle lors de son intervention au Parlement européen en 2013.
Laurence Noëlle, cofondatrice du mouvement des survivantes en France nous a quitté en octobre dernier. La Fondation Scelles l'avait interviewé en 2013 à l'occasion de la sortie de son livre témoignage "Renaître de ses hontes". Il n'y a rien de honteux dans son parcours de vie. Rien de honteux dans le combat que Laurence a mené pour l'abolitionnisme. Rien de honteux non plus à témoigner de la violence du système prostitueur. Nous remettons ici l'intégralité des échanges que nous avons eu avec Laurence lors de cet entretien. Laurence Noëlle était formatrice spécialisée dans la prévention de la violence. A 17 ans, elle a connu la la mainmise des proxénètes. 28 ans après, elle a publié le récit de son expérience et de sa reconstruction « Renaitre de ses hontes » (Le Passeur Editeur)
Qu’est-ce que ce livre a changé dans votre vie et pourquoi l’avez-vous écrit ?
C’est très difficile à expliquer. Le livre m’amène une explosion de sollicitations. J’aurais pu dire non à cette sollicitation car je pense que c’est trop d’un coup. Mais j’ai dit oui. Ce n’est pas pour moi : c’est pour l’intérêt supérieur commun. Parce que je serais bien plus tranquille dans ma petite vie d’avant, bien planquée. En tout cas ce n’est pas mon ego qui parle. Pendant les quatre années de rédaction de ce livre et encore aujourd’hui, j’ai tout le temps été déchirée entre deux parties de moi : entre celle qui voulait dire qu’il est possible de s’en sortir, et celle complètement terrorisée à l’idée de m’exposer parce que mon bouquin pourrait être connu.
Quel est le sens de votre témoignage ?
Toutes les personnes qui ont souffert de la prostitution se taisent. Si cette parole sortait, si tous ces fantômes, si toutes ces personnes disaient la réalité, on n’en serait sûrement pas là. C’est bien ça qui manque : faire sortir la parole. Pourquoi je me suis tue ? Parce que je ne voulais pas perdre mon travail, parce que je voulais protéger mes enfants. Je connais des femmes géniales qui pourraient témoigner, mais elles refusent à cause de cela. L’objectif de mon témoignage est de libérer cette parole.
Cela dit, je les comprends car on porte ça toute sa vie. Même une fois sorti de la prostitution, on continue à payer. La société a honte de la prostitution : certains la méprisent, d’autres mettent une jolie couche de vernis en disant que c’est super. Tout le monde se voile la face.
Les journalistes, quand ils parlent de moi, ne disent pas : « Vous avez connu la prostitution », mais « vous êtes une ex-prostituée ». On me juge dans l’être. Tu as été, donc tu seras ! Il n’y a pas de pardon. Mais il faut dire ce que je suis devenue aujourd’hui ! Car mon message s’adresse aussi à ceux et celles qui sont toujours dedans, pour leur montrer qu’il est possible de s’en sortir, sinon cela n’a pas de sens.
Comment peut-on prévenir la prostitution, en particulier auprès des jeunes ?
Je n’y ai pas vraiment réfléchi. La seule chose que je peux vous répondre spontanément, c’est qu’il faut dire ce qui se passe réellement, c’est-à-dire les actes qui sont pratiqués dans la prostitution. Dire les choses ouvertement et donner des détails de ce qui se passe, vu de l’intérieur.
Je suis encore étonnée quand j’entends des femmes dire qu’elles sont bien, comme par exemple les étudiantes qui se prostituent. Mais elles ne disent pas ce qu’elles vivent, qu’elles ne choisissent pas les hommes avec qui elles couchent donc qu’elles le subissent. Des mecs qui peuvent sentir mauvais des aisselles ou du sexe ou de la bouche, qui sont violents, des gros, des visqueux qui demandent des trucs horribles. C’est ça qu’il faut dire : la réalité !
Si ces personnes qui prônent la prostitution comme une vertu se cachent, c’est bien parce qu’elles ont honte ! Qu’on ne vienne pas me dire qu’on prend du plaisir avec un mec répugnant !
Vois- tu un lien entre la prostitution et la maltraitance et l’inceste que tu as vécus ?
La prostitution, pour moi, c’est un choix désespéré, dans n’importe quel cas. Pourquoi suis-je restée dans la prostitution ? J’aurais pu fuir, mais ce n’est pas ce que j’ai fait. Il y a plusieurs facteurs à cela. Premièrement, je n’ai pas fui car j’avais peur que mes proxénètes me retrouvent et me frappent. Mais j’ai aussi fait le choix de me laisser faire car je ne voulais pas être abandonnée. Si je fuyais, je me retrouvais toute seule, surtout à mon âge [ndlr : 16 ans]. Je ne savais pas que les mineurs étaient protégés. Je pensais dur comme fer que je risquais d’aller en prison.
Je voulais aussi m’auto-punir (cela, je l’ai compris grâce à la psychothérapie). La culpabilité a été lourde dans ma vie. J’ai toujours pensé que si ma mère n’était pas gentille avec moi, c’est parce que je le méritais, que j’étais une mauvaise fille. Un livre magnifique de Yves Alexandre Thalmann « Au diable la culpabilité ! » m’a vraiment ouvert les yeux sur la culpabilité morbide, malsaine. On croit être coupable alors qu’on ne l’est pas et on passe sa vie à s’auto-punir, à se mettre dans des événements qui ne sont pas bons pour nous, parce qu’on est persuadé d’être mauvais.
Donc oui, il y a un lien entre l’inceste, la maltraitance et la prostitution car je pensais que j’étais coupable et que je ne valais rien. Je pensais aussi que j’étais une poupée car j’avais été touchée par mon beau-père. Ce qui est bon pour toi, tu ne le vois pas puisque tu es persuadé que de toute façon tu ne vaux rien. Et c’est sans fin puisque cette culpabilité n’est pas réelle.
Pourquoi la prostitution est-elle un choix désespéré ?
Parce que cela veut dire qu’on ne se laisse même pas le choix d’avoir un autre métier pour gagner sa vie. On part du principe que de toute façon on n’y arrivera pas, que l’on ne vaut pas grand chose. Je veux dire qu’il faut quand même beaucoup de mépris de soi. Pourquoi un étudiant va-t-il aller travailler au Mac Do tandis qu’un autre va se prostituer ? C’est bien à cause du respect et de l’estime de soi !
Aujourd’hui, j’ai appris à m’aimer. Si je suis dans la merde, pour rien au monde j’irais me prostituer. C’est louer mon corps comme un torchon et encore un torchon tu le laves…
Quel a été le déclic qui t’as aidée à reconstruire ton estime de toi ?
Ce déclic, c’est l’amour. C’est ce mépris de moi-même, ce manque d’amour, ce qui m’est arrivé dans mon enfance qui m’ont fait plonger dans la prostitution, mais c’est bien le déclic de l’amour qui m’en a fait sortir. Ce n’est qu’une histoire d’amour tout cela. L’amour de mon chien était le seul amour que j’avais. Et puis sur mon chemin, j’ai eu la chance de rencontrer des personnes bienveillantes qui m’ont appris à m’aimer.
Les clients n’ont pas appris à aimer, sinon ils ne seraient pas entrain de voir une prostituée. Ils n’ont peut être pas été aimés non plus. Pourquoi certains hommes respectent les femmes et d’autres pas ? Pourquoi certains sont clients et d’autres non ? Moi la seule différence que je trouve c’est l’apprentissage de l’amour et de la communication.
Propos recueillis par RN et CG
Laurence Noëlle, Renaître de ses hontes, Ed. Le Passeur, 2013.