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Vivastreet : Pour une vigilance accrue des acteurs du numérique

Une information judiciaire à l’encontre du site de petites annonces Vivastreet a été ouverte en 2018 par le parquet de Paris pour proxénétisme aggravé. Cette affaire interroge sur les responsabilités des acteurs du numérique face aux messages qui se diffusent sur leur site et résonne avec la proposition de loi sur la lutte contre la haine en ligne adoptée mardi 9 juillet 2019 à l’Assemblée Nationale[1]. >>>

 

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Contenus haineux et responsabilités pénales

 

Avec ses rubriques « Erotica » et « Erotica Gay », Vivastreet a longtemps servi de site de rencontres, normalement entre adultes consentants. Ces sections étant aujourd’hui fermées, elles ont tout de même permis des détournements par des réseaux criminels à des fins d’exploitation sexuelle. En 2016, ce fut le cas d’une jeune fille de 14 ans ayant été recrutée par un réseau de proxénètes. La plainte de ses parents contre le site, reprise ensuite par le Mouvement du Nid, s’avère être à l’origine de l’instruction judiciaire. En la faisant passer pour une masseuse de 20 ans, son annonce a été utilisée pour attirer des clients de la prostitution. Son cas ne serait pas isolé puisque selon une information révélée par Le Monde, 7 000 annonces de prostitution auraient été potentiellement recensées sur le site.

 

>> Pour aller plus loin :

 

Le premier article de la loi du 13 avril 2016 soulignait déjà l’importance du numérique concernant la lutte contre l’achat d’actes sexuels[2]. À l’image des messages haineux, homophobes, sexistes ou ultra-violents comme lors des attentats de Christchurch, il convient de s’assurer que les acteurs du numérique prennent les dispositions nécessaires pour combattre ces contenus illicites. « Derrière tout cela il y a bien une question de proportionnalité » atteste Maitre Emmanuel Daoud, avocat de la Fondation Scelles en tant que partie civile dans l’affaire Vivastreet « Il faut pouvoir être sûr que les plateformes mobilisent des moyens de luttes suffisants pour agir contre ce fléau qu’est la diffusion à la fois des contenus haineux et de la prostitution en ligne ».

 

Vivastreet est-il éditeur ou simple hébergeur de contenus ? Les responsabilités civiles et pénales ne sont pas les mêmes. Les éditeurs sont responsables de l’ensemble des informations publiées sur leur site, alors que les hébergeurs demeurent soumis au principe d’absence de surveillance générale. Le Conseil Constitutionnel a ainsi déjà rappelé que la responsabilité de ces acteurs ne peut être engagée s’ils n’ont pas connaissance du caractère illicite des informations présentes sur leur site[3]. Des sanctions peuvent s’appliquer pour les hébergeurs seulement en cas de signalement d’utilisateur. Il s’agira donc pour l’autorité judiciaire de déterminer si la plateforme avait bien connaissance de ces offres d’actes sexuels tarifés ou non.

 

Le site pourrait être condamné pour proxénétisme selon la définition du code pénal qui dispose qu’est « assimilé au proxénétisme le fait de faire office d’intermédiaire entre deux personnes dont l’une se livre à la prostitution et l’autre exploite ou rémunère la prostitution d’autrui »[4]. Ces annonces étant payantes pour l’utilisateur qui les postent, Vivastreet s’est alors enrichi par ce biais et a ainsi indirectement tiré profit de ces offres de prostitution masquées. Au-delà d’une affaire du droit de l’internet, il s’agira donc également d’un dossier de proxénétisme de mineurs si ces charges sont retenues par l’autorité judiciaire à l’issue de l’instruction.

 

« Si l’affaire est renvoyée devant le tribunal correctionnel ce sera une première en France, la dimension symbolique sera donc très forte » explique Me Daoud. Ce dossier fait écho à une volonté croissante de responsabiliser les plateformes à l’heure où la loi visant à lutter contre la haine en ligne a été adoptée très majoritairement à l’Assemblée Nationale.

 

 

La nécessaire adaptation du droit face aux dangers du numérique

 

Les nouvelles technologies bousculent la grille de lecture traditionnelle concernant la criminalité organisée. L’enjeu est donc d’utiliser un cadre juridique adapté pour lutter contre ces nouvelles formes d’exploitation sexuelle. Selon Myriam Quéméner, magistrate experte des questions de cybercriminalité « L’une des solutions passe par notre sens de l’élaboration d’un véritable droit de la cybersécurité cohérent et non plus éparpillé dans de multiples codes et textes. »[5]

 

La Convention de Budapest du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité de 2001 reste la référence la plus utilisée par la France[6]. Un protocole additionnel est en cours de rédaction depuis 2017 et devrait être présenté d’ici la fin de l’année 2019, témoignant de la préoccupation croissante pour ces enjeux au niveau européen. Face à ces défis, il s’agit donc avant tout de créer une « gouvernance mondialisée d’internet » selon Yves Charpenel président de la Fondation Scelles[7].

 

Concernant la transmission des données, là encore les hébergeurs ont un rôle important à jouer. Selon Myriam Quéméner, « Aujourd’hui, les autorités répressives sont souvent tributaires du bon vouloir des prestataires de services à leur remettre les preuves dont elles ont besoin »[8]. Entre collaboration et répression, l’équilibre reste à trouver pour réguler les rapports entre les acteurs publics et privés face au numérique. Les plateformes en ligne peuvent faciliter le démantèlement des réseaux criminels si elles acceptent de communiquer ces données. Toutefois, en  matière de prostitution les sites peuvent aussi participer à développer indirectement la demande en permettant l’offre d’actes sexuels tarifés. Il convient donc pour l’ensemble des acteurs de lutter de manière conjointe en prenant chacun sa part de responsabilité.

 

Le législateur français a tenté d’apporter des réponses dès 2004 avec la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN)  puis avec la loi du 7 octobre 2017 pour une République numérique visant à encourager une « information loyale, claire et transparente ». La proposition de loi sur la haine en ligne portée par la députée Laetitia Avia va plus loin et tend vers un filtrage généralisé à titre préventif.

 

Ainsi on peut lire dans l’exposé des motifs de la proposition que « les plateformes de réseaux sociaux jouent trop souvent de l’ambivalence de leur statut juridique d’hébergeurs pour justifier leur inaction »[9]. Désormais, les sites qui refuseront de supprimer un contenu illicite s’exposeront à des sanctions pouvant aller jusqu’à 4% de leur chiffre d’affaire mondial. Ces messages pourront concerner des propos haineux mais également des informations relevant du proxénétisme ou de la traite des êtres humains. La loi vise également à « renforcer la coopération entre les opérateurs de plateformes et les autorités judiciaires en matière d’identification des auteurs de contenus illicites ». Ainsi, le secrétaire d’Etat au numérique Cédric O déclare instaurer « une sorte d’obligation de réussite en laissant aux plateformes l’initiative d’en mettre en œuvre les modalités ». Ces nouvelles dispositions s’inscrivent dans un cadre plus large visant à réprimer les nouvelles formes de cybercriminalité.

 

Des sanctions judiciaires croissantes à l’encontre des sites aux contenus illicites

 

Aux Etats-Unis, de nouvelles réformes ont été adoptées suite au scandale du site de petites annonces Backpage où des parents ont porté plainte contre la plateforme pour avoir publié une annonce de leur fille mineure et générés des profits importants. Les lois FOSTA - SESTA[10] sont entrées en vigueur en 2018 pour lutter contre cette nouvelle exploitation. Elles permettent à l’autorité judiciaire d’augmenter « les peines (…) pour les personnes qui favorisent ou facilitent la prostitution de cinq personnes ou plus ; ou qui contribuent au trafic sexuel »[11]et ainsi de pouvoir punir ces sites internet.  Ces dispositions permettent ainsi de lutter de manière approfondie contre la traite des êtres humains et de poursuivre les plateformes qui ont publié sur leur site ce type d’annonce.

 

À Bruxelles, dans une décision du 8 mai 2019, le tribunal correctionnel a condamné le gérant du site RichMeetBeautiful et sa société pour avoir organiser des « rencontres » entre des « Sugar Babies » et des « Sugar Daddies », c’est à dire des étudiantes ayant besoin d’argent et des hommes riches. Un camion publicitaire circulait ainsi devant l’Université Libre de Bruxelles avec le slogan « Hey les étudiantes, améliorez votre style de vie, sortez avec un SUGAR DADDY ». La société a été condamnée à 240 000 € d’amende et son propriétaire à 24 000 € ainsi que six mois d’emprisonnement avec sursis pour avoir « Par un moyen quelconque de publicité, même en dissimulant la nature de son offre ou de sa demande sous des artifices de langage, fait connaitre qu’il se livre à la prostitution ».

 

En France, un pilote de ligne est poursuivi par l’autorité judiciaire pour complicité d’agressions sexuelles via internet[12]. Il était consommateur de « live streaming » : de l’exploitation sexuelle à distance filmée en direct et retransmise par internet. Stéphane L commandait depuis son ordinateur des viols d’enfants en Asie du Sud-Est puis se connectait sur internet où il pouvait ensuite assister à la scène en temps réel. Ce phénomène serait en plein essor, un viol d’enfant commandé en ligne ne coûterait que 30 à 100 dollars[13]. Ce dossier a été renvoyé au tribunal correctionnel à Paris en mai 2019 pour complicité et non pour consultation d’images pédopornographique. Si cette affaire met en cause la responsabilité pénale d’une personne physique, on peut imaginer que les sites internet qui permettent la diffusion de ces contenus pourraient également être mis en cause.

 

« Que l’on prenne l’exemple de Vivastreet ou d’un autre on voit qu’il y a peut-être un modèle juridique à trouver » résume Me Daoud. En matière de cybercriminalité, il est donc urgent de créer un vrai système juridique effectif pour lutter de manière conjointe contre ces nouvelles formes de violences diffusées par internet. Il convient désormais de mettre les acteurs du numérique face à leurs responsabilités et d’encourager une lutte globale contre toute forme d’exploitation sexuelle afin de donner une réalité aux paroles de Laetitia Avia : « Ce qui n’est pas toléré dans la rue ne doit pas l’être sur internet ».



[3] Décision du Conseil Constitutionnel 2004-496 DC du 10 juin 2004

[4] Article 225-6 du code pénal

[5] Myriam QUÉMÉNER, « Pour une lutte plus efficace contre la cybercriminalité », Sécurité globale, 2018/3 (N°15), pages 5 à 16 

[6] Convention dite de Budapest du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité, signée le 23 novembre 2001 et ratifiée par la France le 19 mai 2005

[8] Myriam QUÉMÉNER, op. cit.

[10] Allow States and Victims to Fight Online Sex Trafficking Act - Stop Enabling Sex Traffickers Act

 

 

 

La Fondation Scelles dans la presse

  • (ES - Milenio) El ser humano no está a la venta
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