Dans le cadre des actions pédagogiques de la Fondation Scelles visant à sensibiliser la jeunesse pour mieux prévenir et lutter contre l'exploitation sexuelle, Frédéric Boisard, chargé de projet à la Fondation Scelles, intervient régulièrement à l'Université de Cergy-Pontoise auprès d'étudiants en tourisme. En janvier 2017, il a présenté les enjeux actuels nationaux et internationaux de la lutte contre le recours à la prostitution d'autrui (adultes et mineurs) lors de déplacements professionnels et de voyages - plus communément appelé 'tourisme sexuel' - qui est identifié depuis de nombreuses années comme un phénomène mondialisé et en croissance constante.
Lire aussi >> Le Rapport mondial 2013 de la Fondation Scelles 'Exploitation sexuelle, Une menace qui s'étend'- "Tourisme sexuel" p.86
Quelle est la menace ? Un phénomène planétaire de grande ampleur
Plus aucun pays n'est épargné à ce jour par le tourisme sexuel. Accéléré par la mondialisation, l'accroissement massif des échanges et du tourisme, notamment dans ses formes modernes via le web - on comptait 1,13 milliard de voyageurs internationaux en 2014, contre 527 millions en 1995, le développement d'internet comme espace illimité de contacts sous couvert d'anonymat, l'augmentation de la précarité et des inégalités entre pays, le phénomène connaît une ampleur sans précédent partout dans le monde et la part des enfants victimes ne cesse de croître.
Les prédateurs proviennent essentiellement d'Europe, d'Amérique du Nord et du Japon. Leurs destinations privilégiées sont l'Asie du Sud-Est (Thaïlande, Cambodge, Laos, Philippines, Birmanie), les Caraïbes (République dominicaine), l'Amérique du sud (Brésil), l'Amérique centrale (Costa Rica), et l'Afrique (Sénégal, Kenya, Madagascar où la prostitution enfantine est endémique), et particulièrement les zones touristiques côtières. Dans cette géographie mondiale du tourisme sexuel, l'Europe est, d'une part, une zone source identifiée depuis de nombreuses années, qui s'élargit à de nouveaux pays comme la Russie et la Turquie, et, d'autre part un lieu de destination, avec des pays comme l'Ukraine, la Moldavie, ou la Turquie.
Néanmoins, dans ses récents développements, le tourisme sexuel tend de plus en plus à se régionaliser. Il n'est en effet pas seulement une affaire de touristes étrangers, les auteurs de cette exploitation sexuelle étant pour une large part des voyageurs locaux, nationaux et régionaux.
Qui sont les exploiteurs et leurs victimes ? Des hommes aux multiples visages 'amateurs' d'enfants
Au-delà de la distinction entre les 'exploiteurs préférentiels' qui choisissent leur destination en fonction de la possibilité d'accéder au type de victimes recherché, et les 'exploiteurs occasionnels' qui passent à l'acte lorsque l'occasion se présente, encouragés par un contexte de voyage, d'anonymat et de quasi-impunité dans certains pays, les profils des exploiteurs (hommes à 90%) se sont énormément diversifiés ces vingt dernières années. Au cliché des 'hommes blancs, occidentaux, riches et d'âge mûr' s'est substituée une réalité protéiforme mêlant touristes, voyageurs d'affaire, migrants, travailleurs temporaires, bénévoles 'volontaristes' (qui entrent en contact avec les ONGs et voyagent sous couvert d'actions humanitaires pour être au plus prêt des victimes et abuser d'elles), expatriés, retraités, étrangers ou locaux, jeunes ou âgés.... Tous ces prédateurs fonctionnent en 'club' s'échangeant sans scrupules des informations sur les 'pratiques', les zones à risque, les 'bons plans'...
La part des enfants est croissante parmi les victimes de cette exploitation sexuelle, souvent en proie à une marginalisation totale, après une rupture avec leur famille et la société. Ils sont extrêmement vulnérables aux IST et présentent de graves séquelles sexuelles, physiques et psychologiques, dans la plupart des cas irréversibles.
>> Voir aussi le rapport ECPAT sur l'exploitation sexuelle des enfants dans les voyages et le tourisme (mai 2016)
Quelles sont les actions entreprises ? Des moyens et des résultats insuffisants
Bien que des législations nationales et internationales existent pour protéger enfants et adultes contre cette exploitation sexuelle, elles restent largement insuffisantes dans leur application et leur capacité à enrayer le phénomène, souvent par manque de coordination des actions et d'échanges d'information entre les autorités, et en particulier lorsqu'il est facilité par une corruption galopante et parfois endémique dans certains pays. Il faut pourtant souligner que lorsque des politiques de prévention et de répression sont mises en oeuvre, le phénomène diminue dans le pays concerné, confirmant l'impact réel des dispositifs juridiques abolitionnistes. Mais systématiquement aussi, le phénomène se déplace dans les pays périphériques moins dissuasifs, prouvant par là-même la nécessité de coopérer à l'échelle régionale et mondiale.
Les lois extraterritoriales constituent un élément clé dans la lutte contre ce phénomène, en permettant de poursuivre le délinquant dans le pays de commission de l'infraction ou dans son pays d'origine. Mais les poursuites et les condamnations restent aujourd'hui encore très limitées.
Depuis plusieurs années, de nombreuses initiatives d'ONGs et d'institutions tentent de développer un tourisme responsable, en travaillant notamment auprès des acteurs de l'industrie du tourisme sur la définition et la mise en oeuvre de bonnes pratiques. Des campagnes de sensibilisation régulières incitent à la responsabilité de tous et au signalement des situations douteuses, via notamment des plateformes de signalement. Additionnée à la volonté politique, la prise de conscience collective est en effet essentielle pour combattre cette grave menace et protéger les plus vulnérables.
S'appuyant sur une expertise développée depuis plus de 20 ans, la Fondation Scelles intervient régulièrement en France et à l'étranger, auprès de ceux qui seront les acteurs de la société de demain, et prolongeront ce combat. |
En savoir plus
>> L'Europe, terre du tourisme sexuel, 2/11/2011
>> Une sociologie critique du tourisme sexuel, 2/11/2011
>> Reportage sur le tourisme sexuel en Lettonie
>> Site du Docu-Club de l'Université de Cergy Pontoise