Ils ont tenu parole. Ce vendredi 12 juin est à marquer d'une pierre blanche pour l'abolitionnisme en France. Nos députés n'ont pas reculé au moment du passage en deuxième lecture à l'Assemblée nationale de la proposition de loi visant à lutter de manière globale contre le système prostitutionnel. La navette parlementaire repart vers le Sénat avec un texte proche de celui voté en première lecture.
Dès 2010, R.J. DiGiacomo[1] montrait comment la prostitution tenue par le crime organisé pouvait devenir une source de financement d’activités terroristes. Depuis juin 2014 et la “proclamation du Califat” par le groupe terroriste Daech, une logique de profits issus de l’exploitation sexuelle apparaît de plus en plus nettement à tel point que l’ONU parle désormais d’un terrorisme sexuel[2] délibéré. Logique qui fait des émules au sein des autres groupes notamment sur le continent africain (Boko Haram, Chebabs, AQMI etc…). Les femmes sont les premières victimes. L’exploitation sexuelle ne prend pas seulement le visage du profit : aux côtés de la prostitution et de ses trafics, les témoignages sur les viols et les mariages forcés se multiplient…
Par Christine Lazerges, Présidente de la CNCDH,
Le 14 mai 2014, après quatre ans de travaux menés en partenariat avec les associations spécialistes de la question, le conseil des ministres a adopté un Plan d'action national contre la traite des êtres humains. Ce Plan a fait l'objet d'une annonce par le Président de la République. Il comporte une série d'engagements visant à améliorer l'identification et l'accompagnement des victimes ainsi que la poursuite des auteurs. Il appelle à la mise en œuvre d'une véritable politique publique pour lutter contre la traite, et, dans ce cadre, confie à la CNCDH, autorité administrative indépendante, le mandat de Rapporteur national chargé notamment de collecter des données et d'évaluer les politiques publiques.
Comme un pronostic déjà annoncé depuis le changement de couleur de sa majorité, le Sénat a, presque sans surprise, rétabli ce lundi le délit de racolage et supprimé la pénalisation du client dans la proposition de loi sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel. D’ailleurs, dans le nouvel exposé du texte, le terme de “système prostitutionnel” a été lui aussi retiré. Que ce soit pour des motifs réfléchis ou simplement pour marquer son opposition de principe à la majorité de l’Assemblée nationale et au gouvernement, la portée du message envoyé à la société est hélas irresponsable et désastreuse.
A la lecture des avis rendus par la commission spéciale sur les amendements, on est en droit de se demander quel est l’objectif visé par les membres du Sénat. Visiblement pas celui d’aider les personnes prostituées. Vouloir réintroduire le délit de racolage, c’est à nouveau souhaiter pénaliser les plus fragiles. Refuser la pénalisation des acheteurs de sexe, c’est maintenir l’impunité des auteurs de violences puisque les “clients” de la prostitution sont les auteurs à part entière de multiples faits de violence sur les personnes prostituées…